FRANCE

Jean-Pierre JOUGLA

Avoué, co-responsable pédagogique du Diplôme Universitaire de Victimologie liée à la nuisance sectaire – Faculté de médecine Lyon I

Barcelone, mai 2002

Prise en compte juridique en droit français de la maltraitance psychologique sectaire de l’enfant.

Dans sa Recommandation 1412 de 1999 sur les « Activités illégales des sectes » l’Assemblée du Conseil de l’Europe, à l’article 9 indique qu’elle « attache une grande importance à la protection des plus vulnérables, et notamment des enfants d’adeptes de groupes à caractère religieux, ésotérique ou spirituel, en cas de mauvais traitements, de viols, d’absence de soins, d’endoctrinement par lavage de cerveau et de non-scolarisation qui rend impossible tout contrôle de la part des services sociaux ».

Si les mauvais traitements, les viols, l’absence de soins relèvent de l’arsenal répressif classique (même si l’huis clos sectaire – effectif ou de type milieu ouvert- les rend difficilement repérables), l’endoctrinement « par lavage de cerveau » n’était pas suffisamment perçu jusqu’à aujourd’hui et encore moins réprimé. C’est uniquement de cet endoctrinement de l’enfant qu’il va être question.

« L’endoctrinement par lavage de cerveau », que nous qualifierons par la suite plus exactement selon la définition retenue par la Loi About Picard (votée en mai 2001) de « création d’état de faiblesse » ou de « mise en état de sujétion », constitue une maltraitance psychologique particulièrement dangereuse pour la victime de secte et plus particulièrement pour la victime mineure.

L’article 1° de la LOI du 18 décembre 1998 tendant à renforcer le contrôle de l'obligation scolaire avait dessiné les contours que pouvait prendre pour l’enfant de secte « l’endoctrinement par lavage de cerveau », sa « mise en état de sujétion ».

En effet l’article 1° de la Loi dite Loi Royal rappelle ou plutôt pose que « le droit de l'enfant à l'instruction a pour objet de lui garantir, d'une part, l'acquisition des instruments fondamentaux du savoir, des connaissances de base, des éléments de la culture générale et, selon les choix, de la formation professionnelle et technique et, d'autre part, l'éducation lui permettant de développer sa personnalité, d'élever son niveau de formation initiale et continue, de s'insérer dans la vie sociale et professionnelle et d'exercer sa citoyenneté. »

L’article 1° de cette Loi rappelle opportunément que « cette instruction obligatoire est assurée prioritairement dans les établissements d'enseignement » ce qui est une façon élégante de faire entendre qu’elle est également assurée par le milieu familial.

Cette loi a pour objectif de réduire l’exclusion sociale dont est victime l’enfant de secte, littéralement de le « désenclaver » en renouant des contacts avec le monde extérieur.

Ce type de maltraitance (car appauvrir la capacité de socialisation de l’enfant, son aptitude à tisser des contacts avec autrui et à devenir un citoyen, constitue bien une maltraitance) est trop rarement pris en compte.

En s’appuyant sur ces lois récentes (1998 et 2001), il faudra donc dans chaque dossier d’enfant de secte soumis à un tribunal (hors les cas de violences physiques) s’attacher à démontrer en quoi l’influence sectaire sur l’enfant est de nature à entraver ou lui interdire l'acquisition

lui permettant

C’est dire le rôle essentiel que seront amenés à jouer les professionnels intervenants, avocats, experts, travailleurs sociaux, enquêteurs, magistrats, et l’obligation dans laquelle ils sont placés de connaître la secte concernée, le contenu de sa doctrine, ainsi que ses pratiques réelles.

Le législateur français rappelle avec la loi tendant à renforcer le contrôle de l'obligation scolaire que l’enfant a besoin d’entrer dans un monde de communauté, un monde partagé par d’autres citoyens, pour s’accomplir comme personne libre.

Croître dans une culture, quelle qu’elle soit, ne peut pas être neutre. Il n’y a pas d’éducation sans influence. En effet l’éducation est une entrée dans une culture. Se surajoutant à la nécessaire socialisation, la culture implique une vision du monde et une direction de vie.

C’est en ce sens que l’enfant est un enjeu de société pour la secte. Il est l’avenir en construction du groupe.

Le projet de la secte sur l’enfant va entrer en conflit avec le modèle sociétal.

Face à ce conflit, la question est de savoir si la société contemporaine est capable de construire et de penser son propre avenir.

La société moderne se doit d’avoir des valeurs, une éthique, qui sont celles de la démocratie. Dans la perspective de ce projet, la laïcité (ou le respect des libertés fondamentales de l’individu) ne peut pas être synonyme de neutralité, sinon la laïcité (ou les droits fondamentaux) deviendrait un principe de décomposition de la société.

C’est des libertés individuelles en tant que garantes de la liberté tout court dont il est question chaque fois qu’un enfant risque d’être mis en état de sujétion lorsqu’il appartient à une secte.

Les magistrats sont la plupart du temps désarmés et ne peuvent pas même imaginer comment fonctionne la machine de guerre sectaire, d’autant que fréquemment, poussés par les sectes elles mêmes, ils tombent dans l’erreur commise par le Conseil de l’Europe qui voit dans les sectes des « groupes à caractère religieux, ésotérique ou spirituel » ce qui leur fait courir le risque de s’interdire toute analyse dans un souci de respect d’une laïcité mal comprise. Or, ce n’est pas la dimension « religieuse » qui caractérise la secte, c’est essentiellement sa dimension totalitaire cachée sous le faux nez d’une dimension spirituelle.

Ce débat devrait s’ouvrir rapidement aujourd’hui ; la prise de conscience récente du danger des intégrismes est de nature à le faciliter. Tous ceux qui depuis longtemps travaillent sur le phénomène sectaire savent qu’il y va de la liberté au sens où chacun doit rester sujet de droit.

Le projet totalitaire sectaire doit être davantage dénoncé lorsque l’enfant en est l’enjeu. C’est à le montrer et à le démontrer que doivent s’attacher les intervenants professionnels à l’occasion des conflits judiciaires nés autour de l’enjeu du futur que constitue l’appartenance de l’enfant.

La société a un devoir d’ingérence et de protection à l’égard de ce faible parmi les faibles qu’est l’enfant de secte placé sous la double emprise du parent adepte et de la secte.

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