FRANCE

Sonya JOUGLA

Psychologue clinicienne, psychothérapeute - Coresponsable pédagogique du Diplôme Universitaire de Victimologie liée à la nuisance sectaire – Faculté de Médecine Lyon 1. (1)

Barcelone mai 2002

LES ENFANTS VICTIMES DE SECTES

On parle de plus en plus de maltraitance psychique et physique subie par les enfants du monde entier.

Mais on parle très peu des enfants victimes de secte, victimes du gourou, des adeptes, de leurs parents, mais aussi de la société qui n'a pas su les protéger en amont ni les défendre en aval.

Peut être est-ce parce qu'il est encore plus difficile de préserver un enfant de la croyance de ses parents que de leurs coups ou de leur sexualité incestueuse.

Peut être aussi parce que la contrainte qu'imposent les parents en immergeant leur enfant dans une secte est parfaitement légale.

Dans ma pratique professionnelle de psychologue clinicienne et psychothérapeute, en vingt cinq ans d'exercice, je n'ai jamais reçu de demande de psychothérapie d'enfant de secte émanant d’un parent d’adepte.

Ces parents, eux-mêmes victimes de manipulation mentale et d'emprise sectaire, ne peuvent avoir conscience de la souffrance de leur enfant.

De plus, les plaintes de ces enfants là sont inaudibles. Plus que tout autre, ils sont des « infans » au sens étymologique du terme, c'est à dire privés de parole.

J'ai reçu par contre plusieurs enfants amenés par des parents divorcés ou mariés à un adepte de secte qui assistent, impuissants, à la lente dégradation de leur enfant et qui viennent chercher des solutions auprès des professionnels de santé et de justice.

Il est extrêmement difficile pour ne pas dire impossible, d'entreprendre une psychothérapie avec un enfant immergé dans une secte et ayant au moins un parent adepte : impossibilité d'établir une alliance thérapeutique, impossibilité d'introduire un tiers médiatisant.

La psychothérapie est nettement plus envisageable pour I’enfant lorsque les deux parents sont sortis de secte. Cela ne veut pas dire qu'elle soit facile.

D'autre part, beaucoup d"adultes, ex enfants de sectes, ont entrepris une psychothérapie pour essayer, vingt, trente, quarante ans après être sortis de l'emprise sectaire encore présente. d'échapper à la souffrance qu’elle a engendrée.

I. – LA GRAVITE DES SEQUELLES DE LA MALTRAITANCE SECTAIRE

La gravité dépendra de cinq paramètres :

1/ la dangerosité de la secte
Toutes les sectes ne présentent pas la même dangerosité pour les enfants.

2/ la nature de l'acte maltraitant

La gravité des séquelles dépendra de la nature de l'acte dont il faut considérer

Elle dépendra aussi de l'auteur de l'acte

3/ le niveau de développement psychique et affectif de l'enfant

Si l'impact émotionnel dépasse les capacités d'intégration psychologique et affective de l'enfant, il y a maltraitance psychique.

L'importance du traumatisme dépendra donc

Le développement de cette culpabilité est le ciment fondateur de l'emprise sectaire.

4/ l’âge de l'enfant

Les séquelles psychologiques dépendront aussi de l'âge de l'enfant

5/ l'implication sectaire de l’entourage

II. – LES MALTRAITANCES SPECIFIQUEMENT SECTAIRES

A/ Les maltraitances touchant à l'intégrité psychique de l'enfant.

L'enfant de secte vit au quotidien les formes de maltraitances répertoriées par l'APSAC en 1995 le reflet, la dévalorisation de la personne, l'isolement l'indifférence face aux demandes affectives de l'enfant. la corruption, l'exploitation, la négligence due à la déparentalisation. Mais il subit d'autres maltraitances plus spécifiques à sa situation d'enfant d'adepte.

1/ Le besoin du gourou

La présence d'enfants dans une secte est nécessaire au gourou. Elle lui garantit sa pérennité et elle forge dès leur naissance les nouveaux adeptes de demain. L'enfant de secte constitue obligatoirement la deuxième génération d'adepte. A ce titre il représente pour le gourou un « super adepte ».

Enrôlé malgré lui par ses parents, avant même de naître, il est déjà broyé par les rouages implacables du système totalitaire sectaire dont il ressort parfaitement programmé.

Les enfants représentent pour le gourou un « cheptel de robots » conformes, soumis, uniformisés, et désindividualisés, dans lequel il pourra impunément puiser pour assouvir ses fantasmes délirants de puissance, de sexualité, de pouvoir, etc.

Ces enfants, parfaits petits adeptes calibrés, tels des poulets de batterie, exécuteront sans broncher les consignes du maître. lis produiront à rendement maximum, sans revendication personnelle d'aucune sorte ... du moins l'espère-t-il.

2/ Un monde virtuel

Basé sur de prétendues révélations données par un hypothétique « invisible supérieur » le gourou a construit de toutes pièces un royaume virtuel dont il est le souverain incontesté puisque invérifiable.

Il parvient ainsi à faire croire qu’il n'existe d'autre réalité que celle de ce monde virtuel.

Les pouvoirs « divins supérieurs » dont il s'affuble et les connaissances ésotériques qu'il dit posséder, ne laissent place à la contestation ou à la rivalité puisqu'ils appartiennent à un autre plan. En fait, il est le créateur incontesté d'un super jeu vidéo de play station dont lui seul connaît les règles et dont il est l'éternel gagnant.

Mais ce jeu là n’est pas un jeu, l'enfant y perd sa vraie vie d'enfant.

3/ Un monde clos

Ce monde virtuel ne peut fonctionner qu’en vase clos.

L’intrusion de la réalité, la comparaison, les repères extérieurs, l'ouverture sur le monde apporteraient le doute, le discernement, le choix.

Les murs de l'enceinte de ce monde servent à la fois de protection contre les attaques extérieures, contre l’intrusion du regard, du contrôle de la justice, de la santé. des droits de l'homme et de l’enfant.

Ils servent aussi à retenir l’enfant ou l'adepte et à le maintenir dans l'illusion fantasmagorique créée par le gourou.

En apparence les adeptes semblent libres d'entrer et de sortir selon leur bon vouloir.

En réalité ils sont retenus dans la cage virtuelle de l'emprise sectaire et de la manipulation mentale.

4/ L'absence de triangulation

Le gourou, seul représentant parental, enferme l'enfant dans une relation fusionnelle duelle dévorante dont il ne peut s'échapper.

L'absence de référence aux tiers (de type paternel) empêche l’enfant de sortir de cette toute puissance (de type maternel) et ne lui crée pas d'ouverture vivifiante sur le monde extérieur.

La place du tiers qui limiterait le pouvoir et la sacralisation du gourou, et créerait une brèche dangereuse sur le monde, est détruite systématiquement par le gourou lui-même en diabolisant toute intrusion qu'elles qu'en soient lés formes : le parent extérieur à la secte, les psy., les médecins, la société, la loi, la justice...

Par le manque de triangulation, l'enfant se trouvant à la merci totale du gourou, il ne lui reste comme seules issues possible à cette toute puissance que

5/ Le traumatisme de type incestueux ou incestuel.

La confiance et l'amour inconditionnels donnés par l'enfant adepte au gourou conjugués à la relation infantilisante., réifiante et de dépendance créée par le « maître » renvoie l'adepte quelque soit son âge à un traumatisme de type incestueux ou incestuel.

Ce traumatisme toujours présent symboliquement, s’accomplit parfois dans un inceste véritable.

6/ Le repère parental et familial.

La secte se présente comme un substitut de famille, unique repère.

Dans certaines sectes l'enfant est même dépossédé de ses origines, de sa race, de sa généalogie, de ses parents, de son nom, de son existence même, puisque certains ne sont pas déclarés à l'état civil à leur naissance.

Les pères et mères ne sont plus les représentants de l'autorité. Seul le gourou détient ce rôle. Il a autorité sur les enfants mais aussi sur les parents qui sont eux même infantilisés et réduits à l'état de frère et de soeur. (Les enfants doivent les appeler d'ailleurs ainsi et non papa, maman.)

La confusion des rôles empêche l'enfant de se situer par rapport à ses parents et à la société.

7/ La relation affective parent - enfant

La relation trop fusionnelle parent enfant comme l'absence de relation sont des facteurs pathogènes pour l'épanouissement de l'enfant.

Dans les sectes. la relation parent enfant ne peut se faire sans obéir aux strictes consignes différentes selon les sectes et qui, en fonction des fantasmes du gourou vont de la fusion à la séparation totale.

Il est difficile de comprendre sans juger l'attitude passive des parents acceptant d'être séparés de leur enfant, qu'il soit soumis sous leurs yeux à de mauvais traitements ou qu'ils les maltraitent eux-mêmes, sur ordre du gourou.

C'est bien là la preuve incontestable de l'emprise sectaire et de la manipulation mentale dont ces parents sont eux-mêmes victimes.

8/ L'examen de conscience et la délation.

Certaines formes de brimades existent sous des formes très pernicieuses. Ce sont les examens de conscience obligatoires comme par exemple d'exiger des enfants à partir de 7 ans des confessions publiques hebdomadaires ou de faire par le biais des «103 questions » ce que la secte appelle « la vérification de sécurité pour l'enfant » dès qu’il a six ans.

L'enfant doit au moyen de ces questions se critiquer et s'évaluer. S’il ne parvient pas bien se confesser, il est « aidé » par les autres enfants : dans beaucoup de sectes la délation est utilisée en permanence.

La délation est un « excellent outil de surveillance » et de manipulation, elle empêche toute relation affective entre les enfants et maintien le gourou dans sa position de père tout puissant seul objet d'amour.

B/ - Les maltraitances touchant à l'intégrité physique de l'enfant.

1/ La violence physique

Les exigences éducatives excessives du gourou sont disproportionnées à l'âge de l’enfant et s'expriment souvent par les sanctions et la violence.

La violence spécifique aux sectes coercitives est d'autant plus maltraitante qu'elle est préméditée, elle est de plus justifiée et codifiée (contrairement à la violence familiale) ; c’est un moyen d'endoctrinement des enfants et c'est aussi à travers cette violence que le gourou contrôle le degré d'émotion des parents et leur degré agentique.

Les enfants sont dès leur plus jeune âge habitués à ce langage de violence. lis pensent et en déduisent que l'amour de leur parent s'exprime par le châtiment.

On leur apprend aussi que la violence est nécessaire puisqu'elle permet de chasser les démons de leur corps ou les toxines, forme émoussée du mal...

2/ La sexualité

Contrôler la sexualité des adeptes. adultes ou enfants, c'est pour le gourou contrôler leur corps et leur vie affective.

Les relations sexuelles entre un adulte et m enfant impliquent obligatoirement une relation entre un sujet et un objet, et une violation du respect de l'enfant, une violation de son intégrité physique et psychique.
L’enfant
de secte souffre toujours d'inceste (parfois virtuel, parfois réel), parfois avec le gourou (père symbolique), parfois avec ses parents biologiques.

Un certain nombre de sectes prônent la chasteté, d’autres sont extrêmement dangereuses par la libéralisation allant iusqu’à la prostitution, la pédophilie, l'initiation sensorielle, la méditation sensuelle, l’inceste, les relations sexuelles entre enfants. etc.

3/ Les sanctions et les brimades.

En résumé, la démarche prônée par les sectes constitue pour l'enfant une négation de son identité, de sa personnalité, de sa structuration, de sa construction intellectuelle, du développement de son esprit critique, de son autonomie, de sa capacité à devenir un jour un adulte responsable et un citoyen.

De plus, en immergeant et cloîtrant un enfant dans ce monde virtuel et clos, fabriqué de toutes pièces selon les fantasmes du gourou, la secte crée et engendre inexorablement une lourde pathologie bien spécifique et reconnaissable : celle d'un petit être cloné et robotisé qui ne doit ni ne peut grandir, un être sans affect ni ressenti propre, un être qui ne parvient pas à marcher sans la prothèse de la secte et qui- sorti de l'enceinte sectaire, est sans identité, sans passé et apatride.


  1. Un diplôme universitaire a été créé pour former les professionnels de santé et de justice à la spécificité sectaire et à l’aide aux victimes. Faculté de médecine Lyon 1, professeur L. Daligand.