FRANCE

Barcelone, mai 2002

Une cohabitation paradoxale

La laïcité face au projet éducatif des mouvements sectaires

Hayat EL MOUNTACIR

Le thème choisi pour ce colloque «les enfants dans les sectes » est d’une importance cruciale :

 

I/ Une désocialisation radicale

L’un des moyens de la secte pour atteindre ses finalités est de faire de la famille un lieu de transmission de sa doctrine. Les relations inter familiales sont régulées par les directives du leader. L’identité, nécessaire à la restructuration du sujet est remplacée par l’identification au groupe de façon quasi inconditionnelle. Déjà les parents adeptes avaient rompu avec leur propre famille et la société. Cette rupture induit le refus de l’ancrage dans un lieu, une histoire, une famille. Les adeptes n’ont plus de vécu particulier à transmettre à leurs enfants. Cette situation est préjudiciable à leur épanouissement car elle empêche leur structuration et leur socialisation à l’extérieur de la secte. L’Age d’Or promis par les sectes passe par la transformation des adeptes adultes et le façonnement précoce des enfants.

Or, si chaque famille a la liberté de promouvoir ses propres conceptions éducatives, celles-ci doivent s’exprimer dans le cadre du respect des normes juridiques et des valeurs communément admises. Par ailleurs, quelles que soient les conceptions éducatives, la finalité reste la préparation de l’enfant à l’intégration à la société. En intervenant dans l’espace privé de la famille, dans ses interactions avec l’environnement social, les sectes mettent en place leur pouvoir privé. Un pouvoir souvent en contradiction avec les normes juridiques. Et lorsque les sectes remettent en cause le rapport des adeptes aux normes juridiques, c’est toute la société dans son ensemble qui est visée. Les sectes ne mettent aucun moyen à la disposition des enfants pour se socialiser, c’est à dire construire des rapports cohérents et surtout harmonieux avec les autres. Au contraire :

 

II/ Une confusion entretenue entre l’instruction et l’éducation

La Laïcité invite à opérer une distinction entre l’éducation et l’instruction. L’éducation relève de la famille, intégrée dans la société, mais libre de transmettre à sa progéniture ses valeurs religieuses et culturelles. C’est ce qui va donner à chaque enfant sa singularité. L’instruction comporte la transmission des connaissances. C’est l’apport d’un savoir fondé sur la raison et l’expérience ; un savoir qui se réfère à l’universel humain et qui permet du même coup de respecter la singularité de chaque enfant tout en la soumettant à cet universel. Ainsi tout en gardant sa particularité, l’enfant se sent partie prenante de toute la société et pourra accéder à la réflexion critique, garante de sa liberté de pensée. C’est pourquoi, l’instruction est obligatoire en France. En contradiction avec le principe de liberté les sectes ne préparent pas l’enfant à devenir un individu libre. Elles cherchent à le placer dans un monde rigoureusement hiérarchisé autour d’un leader qui est seul habilité à penser. L’adepte n’a qu’un devoir d’obéissance et de loyauté.

Dans un soucis de légitimation de leur discours, et pour lui donner une cohérence interne, apparemment convaincante, les sectes vont faire appel à des théories pédagogiques dites spiritualistes. Par exemple :  « l’être humain doit se mettre en contact avec la divinité qui est présente partout et tenter d’atteindre par l’intuition cette nature divine et spirituelle qui doit le guider et dans laquelle il faut avoir confiance » (2).

Quelle que soit la matière enseignée, l’enseignant se limite « à faciliter chez l’enfant cette perception intuitive de sa relation avec l’univers » (3). Ainsi la secte « Horus » qui était installée dans la Drôme avait créé une école privée pour les enfants des adeptes basée sur la «réceptivité de l’âme » (4). Dans cette secte, un cours sur Kafka se réduit à cacher le livre et à demander aux élèves de découvrir l’auteur au moyen de leurs sens (5). Une autre secte, « la Famille », qui vit en communauté et scolarise les enfants à l’intérieur du groupe prétend s’appuyer sur la pédagogue Maria Montessori issue du courant spiritualiste (6). Marylin Ferguson (7), égérie du nouvel âge a synthétisé et popularisé dans les années 80 cette conception spiritualiste.

III/ La laïcité face aux sectes.

Une République laïque

Le modèle républicain laïque ne s’appuie pas sur le communautarisme mais sur la notion de citoyenneté. Ce n’est pas le cas de toutes les démocraties. Certaines s’accommodent du communautarisme comme les Etats-Unis par exemple. En ce qui concerne la France, la notion de citoyenneté, consacrée par la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen après la Révolution de 1789, est l’aboutissement d’une longue maturation. Elle reconnaît la valeur de l’individu indépendamment de son appartenance à une quelconque communauté. En France le modèle éducatif s’inspire de ce principe de laïcité. Il vise un double objectif : l’universalité et la singularité (8). La laïcité tend à affranchir de l’ignorance en favorisant le développement de la réflexion critique et en donnant des armes intellectuelles pour apprendre à faire ses choix. La laïcité s’oppose donc aux sectes pour lesquelles il n’y a pas d’objet de pensée. Il faut croire au leader. Un des précurseurs du siècle des Lumières, Jean-Jacques Rousseau expliquait fort justement :  « avant d’examiner l’acte par lequel le peuple élit un roi, il serait bon d’examiner l’acte par lequel un peuple est un peuple » (9).

Les sectes, toujours promptes à semer la confusion attaquent la laïcité en assimilant sa base philosophique à un combat contre la religion. Or la laïcité est garante du libre exercice des convictions religieuses de chacun dans leur diversité et pour autant qu’elle respecte les lois. Elle constitue, au contraire, un rempart contre les sectes qui s’arrogent l’exclusivité de la vérité et œuvrent pour une société entièrement au service de leur doctrine.

En quoi et comment la conception éducative des sectes s’oppose à la laïcité ? (10)

Le développement de l’esprit critique chez les enfants devrait éviter l’écueil de l’asservissement et de la tyrannie. En déscolarisant et en contrôlant le contenu de l’enseignement donné aux enfants, certains groupes sectaires tentent précisément de les asservir par un endoctrinement dès le plus jeune âge. Le modèle républicain rompt avec la logique groupale pour lui substituer une cohésion sociale basée sur le sens de l’autre et le respect de l’individualité. Les sectes revendiquent et promeuvent au contraire une appartenance clanique exclusive qui refuse la singularité individuelle. Appliquée à l’éducation et à l’instruction des enfants, cette logique d’enfermement et de désocialisation est incompatible avec la mission de l’école laïque qui prône l’ouverture. Les écoles créées par les sectes sont présentées comme des réseaux alternatifs d’enseignement censés

répondre à la demande des parents dans le strict respect du pluralisme inhérent au système démocratique. Or l’enseignement dispensé dans ces écoles repose sur une idéologie qui véhicule, quelque soit la secte, une conception du monde qui modèle l’enfant tout en le maintenant dans un cadre physique et intellectuel réduit au groupe :

Cette loi rappelle et réaffirme que l’Etat protège les mineurs non seulement en cas de maltraitance physique ou de situation de danger qui compromettent leur avenir, mais aussi si leur préparation à l’exercice de la citoyenneté est défaillante. L’école reste le creuset de la citoyenneté et de la cohésion sociale par la promotion de l’universel. et les groupes sectaires s’intéressent au monde de l’éducation car il constitue un enjeu majeur et il serait incompréhensible de leur laisser le soin de façonner une partie de la jeunesse dans des valeurs anti-humanistes qui s’opposent à la liberté.

NOTES

  1. « La personnalité autoritaire » in revue des Sciences Humaines n° 115, avril 2001.
  2. « Théorie contemporaine de l’éducation » Yves Bertrand, édition chroniques sociales, Lyon 1993.
  3. Idem. Opus cité.
  4. Revue du centre « Horus », Al Thaïsis n°2 , 2ème trimestre 1992, « Enseignement : quelle éducation pour nos enfants ».
  5. Journal le Dauphiné, 28 mars 1990.
  6. Gordon Marie-Christine « devenir adulte dans deux sectes contemporaines », mémoires IUT de Tours, département carrières sociales, 1981.
  7. Marylin Ferguson « Les enfants du verseau : pour un nouveau paradigme », Calman-Lévy, 1987,parue en anglais en .
  8. Catherine Kintzler « Condorcet. L’instruction publique et la naissance du citoyen », édition le Sycomore, 1984 .
  9. Cité in Henri Pena Ruiz « Dieu et Marianne. Philosophie de la laïcité », édition PUF, 1999.
  10. Hayat El Mountacir « Laïcité, écoles et sectes » in Regards sur, bulletin du CCMM, Novembre-Décembre 1999 Janvier 2000.

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