Betrencourt

Nicole BETRENCOURT

Écrivain-psychologue

 

Le chamanisme, une voie internationale pour un nouvel usage des drogues

 

Depuis plus de trois ans, pour écrire un livre à paraître, je mène une enquête sur les dérives du chamanisme hallucinogène. Le chamanisme, dont il est dit que c’est la plus vieille forme de religion observée depuis l’aube des temps, revient en force en Occident dans les milieux de l’ésotérisme populaire.

 

Ce savoir ancestral des peuples premiers suscite un écho favorable chez ceux qui aspirent à des valeurs spirituelles ou à une certaine forme de sacré. Après la lecture de livres ou à la suite de conférences, nombre de personnes sont séduites par sa pratique. Mais leur crédulité peut être abusée par des charlatans qui proposent à des personnes en recherche de pseudo-pratiques chamaniques pas toujours inoffensives, surtout lorsqu’elles sont conjuguées à la drogue. Leurs leaders sont souvent bien connus de la MIVILUDES, et des associations de victimes dont beaucoup appartiennent au réseau de la FECRIS.

 

Les traditions chamaniques les plus convoitées sont celles qui utilisent des drogues dans leurs rituels. Particulièrement,  celle de l’Amazonie avec son hallucinogène puissant, l’ayahuasca aux effets proches du L.S.D. D’autres drogues sacrées sont touchées aussi par ce racket. Talonnant  aujourd’hui l’ayahuasca,  on trouve la montée en puissance préoccupante de l’iboga, le L.S.D. africain, de la tradition des Bwitis.

 

Avant ces dérives, l’usage de l’ayahuasca se limitait au cercle restreint de l’Amazonie. C’est une médecine traditionnelle qui soigne les populations locales. Elle est utilisée par les chamans d’Amazonie, appelées les ayahuasqueros, dans le cadre de rites magico-religieux, ayant lieu la nuit. Les maladies pour eux sont d’origine magique et sont à l’opposé de la conception de la maladie occidentale. L’ayahuasca est un breuvage sacré millénaire composé de deux plantes: l’ayahuasca qui a donné son nom au breuvage, une liane géante (le banisteriopsis caapi) qui pousse en abondance dans la forêt amazonienne et une autre, la chacruna, qui contient du D.M.T, un stupéfiant prohibé sur le plan international.

 

Sous des apparences naturelles, la boisson sacrée des Indiens d’Amazonie est hautement hallucinogène. Ses effets sont proches de ceux du L.S.D, le psycho-actif de référence. Les Amazoniens la surnomment la Liane de la Mort. Celle-ci connaît un nouvel essor en Europe. Diffusée par des micro-groupes sectaires, elle a acquis le statut d’un outil chimique de manipulation redoutable. L’addition de ces groupuscules hallucinogènes, souvent indépendants les uns des autres, créent une nouvelle nébuleuse sectaire, insidieuse et difficilement cernable.

 

L’ayahuasca permet à des charlatans, à des gourous du Bien-Être, de la médecine et de la psychothérapie de faire commerce de techniques comportementales déstructurantes. Et celles ci font des victimes, en nombre grandissant. Toutes les sectes s’avancent masquées et le pseudo-chamanisme amazonien n’échappe pas à cette règle. Pour illustrer le mécanisme de séduction que les leaders de groupuscules hallucinogènes mettent en œuvre pour recruter des candidats, et comment ils arrivent à faire croire que la drogue amazonienne est anodine, je vais  témoigner de ce que j’ai vécu dans l’un des ces groupuscules sectaires hallucinogène.

 

Dans le cadre de mon enquête, je me suis infiltrée dans ce milieu très fermé et j’ai pris la drogue amazonienne. Lors d’une deuxième prise, j’ai fait -à défaut de voyage chamanique- un « Bad Trip », provoqué par ses effets puissants. Précisons que je n’ai été victime que de la drogue elle même et non de l’emprise sectaire comme peut l’être malheureusement d’autres victimes. Une sorte d’accident de travail d’un écrivain qui est allé un peu trop loin dans son enquête. Je ne recommande à personne d’en faire autant car il n’est pas évident d’échapper à la pression des normes d’un groupe hallucinogène. Je ne suis tombée que dans une partie du piège tendu par deux leaders de groupuscules comme il y en a, hélas, tant d’autres en France, en Belgique et en Europe.

 

Les victimes de cette nébuleuse pseudo-chamanique subissent la double soumission -chimique et sectaire- mise en exergue par le Dr Gilbert Pépin, pharmacologue. Manipulation mentale menant à la déstabilisation psychologique qui tombe sous le coup  de la loi About-Picard.

 

L’idée d’écrire sur les dérives du chamanisme m’est venue à la suite d’entrevues avec un ami médecin. Profil soixante-huitards, fumant de temps un joint, il était toujours à l’affût d’une nouvelle méthode de médecine alternative ou d’une nouvelle psychothérapie pour résoudre ses difficultés existentielles. J’ai vu, au fil des mois, cette personnalité brillante changer. Ce qui m’a intrigué.

 

Enthousiaste, il me racontait ses expériences sous ayahuasca, un breuvage originaire d’Amazonie qu’il buvait depuis quelques mois en France et au Pérou. Les couleurs, les sensations qu’il décrivait m’ont fait penser aux comptes-rendus psychédéliques que j’avais lus. Inconnue en Europe et que cet ami l’appelait la “Plante”, je n’avais pas cerné l’ayahuasca comme une drogue. Curieusement, bien qu’il soit médecin, il n’envisageait pas un seul instant que celle ci soit une drogue comme le L.S.D. Il était fasciné par le contexte entourant l’absorption du breuvage amazonien ainsi que par les vertus curatives de la plante censée résoudre tous les malaises physiques et psychologiques de l’occidental dans la perspective du « Changement de Paradigme » évoquée par Jean-Pierre Jougla, tout à l’heure …

 

En France, cet ami médecin a été initié par Guillermo Vilar, un  chaman péruvien, héros du film documentaire de Yan Kounen, « Autres Mondes ». Tous les participants à ces stages sauvages de ce  chaman étaient  introduits par cooptation et triés sur le volet: gens du cinéma, médecins, psychologues, psychothérapeutes… A cette époque là, l’ayahuasca n’était pas classé comme stupéfiant. Seul l’était le DMT, et peu de ceux qui prenaient la drogue amazonienne en France savaient qu’il s’agissait d’un stupéfiant. Il fallait avoir été au Pérou. Et il ne faut ne pas perdre de vue que l’information du public porte essentiellement sur les drogues des narcotrafiquants.

 

J’ai rapidement  compris que cet ami était victime d’une arnaque. Effectivement, il était victime de la double soumission chimique et sectaire, évoquée tout à l’heure, et il ne pouvait pas la déceler. L’idée d’écrire un livre sur le sujet pour dénoncer ces dérives, me séduisait de plus en plus. Je n’avais jamais pris l’ayahuasca, ni d’autre drogue. Mais j’ai vite constaté au cours de mon enquête sur le terrain, que le chamanisme amazonien était bradé par des syncrétismes new age qui dénaturent la tradition d’origine des chamans amazoniens.

 

Avec la complicité de cette relation médicale, je me suis introduite « undercover » dans ce milieu très fermé. Nous nous sommes tous les deux inscrits à un séminaire de chamanisme où l’on prend illégalement de l’ayahuasca. Il était organisé par un Argentin, professeur de yoga kundalini et son compagnon,  masseur sensitif et prêtre du patriarcat orthodoxe de la filiation apostolique d’Antioche. Pour le week-end, l’une de leurs adeptes, infirmière en milieu hospitalier, avait mis à notre disposition la péniche d’habitation de son compagnon comédien;  péniche qui était amarrée en bord de Seine, à Saint-Germain-en-Laye.

 

J’ai participé à deux sessions, à un mois d’intervalle entre janvier 2002 et février 2002. Nous étions quinze participants. À bord, mon regard fût attiré par trois personnes dont j’appris plus tard qu’il s’agissait d’une mère de famille accompagnée de sa fille et son garçon, âgés tous les deux d’une vingtaine d’années. Ils étaient venus suivre une sorte de thérapie familiale insolite avec “la Plante” pour se libérer de l’emprise du chef de famille, alcoolique.

 

Embarquée à bord pour la nuit, j’ai suivi les préliminaires de séance de yoga kundalini, de guérison de groupe déconnectant légèrement de la réalité, mais ludique et drôle si on les regarde en décalé mais qu’ont pris au sérieux les adeptes, sous sujétion mentale et consommateurs réguliers de l’ayahuasca, par l’entremise du duo des deux leaders. A la phase d’ingestion du breuvage sacré, distribué par les deux lascars dans un contexte folklorique new age de fumigation de tabac et de chants pseudo-indiens, je pensais trouver des stratégies pour laisser passer mon tour. Mais j’ai été acculée, sous la pression du groupe, à boire le breuvage amazonien. Les “dealers” newagistes avaient tout organisé pour qu’il soit impossible de passer au travers des mailles du filet.

 

Lors du premier week-end, lors de ma première prise, tout s’est bien passé pour moi: je ne ressentais aucun effet de la drogue; J’avais les idées claires sans visions de couleur. Juste l’imagination et les émotions exacerbées. J’en ai profité pour  observer le groupe. J’ai vu des participants malades, vomissant à qui mieux, tordus en deux par l’angoisse et la douleur.  Les deux gourous étaient présents auprès des participants dont la majorité étaient en même temps clients de leur cabinet. Le rituel pseudo-chamanique était un complément du travail individuel effectué en yoga et en thérapie holistique.

 

Entre les deux sessions sur la péniche, il s’est écoulé un mois. C’est avec le recul du temps que je m’aperçois que la drogue avait créé une appétence que j’avais occultée. J’attendais fébrilement la prochaine séance sur la péniche, attribuant mon impatience à mes recherches pour mon livre.

 

Mais lorsque je pris la drogue la deuxième fois toujours dans le même contexte syncrétique new age, j’ai ressenti une douleur fulgurante dans la tête. Après avoir crié « Au Secours », la seule chose dont je me souvienne avant de tomber dans le coma un temps indéterminé, c’est qu’on m’insulta en me demandant de me taire pour ne pas gêner l’expérience des autres. Lorsque je suis revenue à moi, j’ai eu des sensations dignes d’un livre de Stephen King. Personne n’est venu à mon secours. Aucun des deux leaders, ni mon ami médecin cloué au sol par l’effet de la drogue, ni aucun passager. Mais j’ai appris par la suite que beaucoup d’entre eux avaient pensé que j’étais morte et que les deux dealers avaient donné ordre de ne pas me secourir.

 

Il me fallut plusieurs semaines pour me relever de ce bad trip. J’ai fait une décompensation psychiatrique transitoire qui a pu se soigner en ambulatoire. Dans des circonstances rocambolesques, j’ai réussi à me débarrasser des deux leaders et de cet ami médecin qui s’étaient alliés contre moi, et tentaient de me convaincre que je faisais un voyage chamanique dans les Enfers, pour ne pas que je témoigne contre eux.

 

Ce groupe dans lequel je me suis infiltrée est un groupe type de tous ceux qui proposent l’ayahuasca en Europe. De nombreuses personnes sont tombées sous l’emprise chimique et sectaire du pseudo-chamanisme amazonien. J’ai rencontré des victimes qui sont déstructurées psychologiquement au long cours. Avec cette drogue amazonienne consommée dans ce contexte sectaire, on a observé des décompensations psychiatriques, des cas de suicides quelques mois après l’avoir prise, des comas et des morts par overdose. Beaucoup de victimes directes ne veulent pas témoigner auprès des associations de victimes car elles ont peur des représailles des leaders qui arrivent à leur faire croire qu’elles peuvent être punies par des attaques de sorcellerie.

 

La prise de l’ayahuasca dans des groupes en Europe n’est que l’étape préliminaire pour aller au Pérou qui boucle l’emprise  chimique et sectaire. Les postulants au chamanisme,  technique  de psychothérapie humaniste comme une autre, se rendent dans des camps de vacances insolites où l’on conjugue, évolution spirituelle, soins de l’esprit et du corps par l’ayahuasca, censées aider à passer le cap du changement de paradigme.

 

Il y a des traits constants chez tous les leaders du pseudo-chamanisme et j’ai établi leur “Profiling”.

 

Pour ces hommes d’influence, le débat porterait non sur la drogue et les pratiques qui leur sont associées mais sur les libertés individuelles et religieuses.

 

Le leader ès pseudo-chamanisme est soit:

–          Médecin

–          Pharmacien

–          Psychothérapeute

–          Thérapeute holistique (New Age).

 

Lorsqu’il est médecin ou pharmacien, il a connu la médecine chamanique amazonienne par Médecins Sans Frontière, Médecins Aux Pieds Nus, Pharmaciens Sans Frontières.

 

Quand il est psychothérapeute ou thérapeute holistique, il a connu le chamanisme amazonien par des instituts privés de formation en psychothérapie ou par des voyages au Pérou où il a été initié à la médecine traditionnelle amazonienne.

 

–          Il se définit comme chaman ou apprenti chaman pratiquant le chamanisme moderne et le néo-chamanisme.

–          Son idéologie est celle du mouvement transpersonnel, des Nouveaux Mouvements Religieux (Esalen et  du New Age).

–          Il est l’auteur d’articles de contre-culture scientifique sur les hallucinogènes, ou de livres d’ésotérisme populaire.

–          Il est  conférencier  dans des librairies ésotériques, dans des instituts privés de formation  en psychothérapie.

–          Il recrute ses correspondants essentiellement dans la nébuleuse des Nouveaux Mouvements religieux, médecine holistique, courant de la psychologie humaniste,  perméables entre eux.

–          Il propose un nouveau concept de soins en médecine holistique: technique personnelle de soins à  base d’EMC  (états modifiés de conscience) par des plantes naturelles amazoniennes ou africaines et des thérapies humanistes ou des somatothérapies.

–          Il propose de développer une nouvelle voie spirituelle à base de chamanisme et d’E.M.C, syncrétisme du néo-chamanisme et de psychédélisme.

–          C’est souvent un ancien polydrogué aux drogues dures.

–          Pour lui, les hallucinogènes -ou enthéogènes- ne sont pas des drogues analogue à celles qui font le commerce des narco-trafiquants.

–          Il a été initié par des chamans péruviens ou africains, ou nord-amérindiens. Ou à d’autres traditions proches du vaudou.

–          Il organise des séminaires sauvages d’initiation en France, en Belgique. Et des séjours au Pérou dans des communautés thérapeutiques (CT).

–          Il a créé une  Communauté Thérapeutique (CT) ou un centre d’hébergement  au Pérou.

–          Il a des relations étroites avec des leaders de secte.

–          Il peut faire l’objet d’inculpation au motif d’incitation à la consommation de stupéfiants.

–          Au motif  de la loi About-Picard.

–          Il fait l’objet d’articles contradictoires dans les médias.

 

Un tourisme psycho-spirituel est organisé entre le Pérou et l’Europe. Là bas, des Occidentaux consomment, en toute légalité, l’hallucinogène, et d’autres plantes locales toxiques dans des communautés thérapeutiques, spécialisées dans le traitement de la toxicomanie et les maux psycho-spirituels en tous genres.

 

Le centre d’hébergement le plus important est celui de T…, un centre de désintoxication pour drogués, dirigé par un médecin français, ancien de Médecins Sans Frontières et ancien polydrogué. Ce centre de médecines naturelles porte officiellement le masque d’une communauté thérapeutique, une modalité de traitement pour drogués qui n’existe pas en  France après les dérives sectaires de L. Engelmajer, le Patriarche.

 

De par le monde, des communautés thérapeutiques (CT) sont une modalité de soins pour la toxicomanie. Leur fonctionnement s’inspire du modèle anglo-saxon de Synanon et de Daytop. Un bref rappel sur l’historique de Synanon où son fondateur Chuck Dederich instaura des méthodes coercitives qui firent dériver Synanon en secte. Le modèle de CT italien qui inclut l’aspect spirituel est très prisé en Amérique Latine. T… est donc officiellement une communauté thérapeutique, agréé par l’état péruvien, qui soigne par la médecine traditionnelle locale, à l’origine, les drogués locaux.

 

Chacun de vous peut accéder au site Internet de la CT de T… où y est développé son programme de détoxication pour drogués au Pérou avec l’ayahuasca et d’autres plantes toxiques amazoniennes et des techniques de psychothérapies, dont certaines sont connues pour leur potentialité à être des outils psycho-sectaires (comme la respiration holotropique de Stanislav Grof, leader du mouvement transpersonnel).

 

Je me pose la question de savoir quelle est la validité et la dangerosité d’un programme de détoxication où l’on sèvre les drogués par une autre drogue, l’ayahuasca un  genre de L.S.D et d’autres plantes hautement toxiques comme la datura altérant la conscience et adjointe à des techniques de psychothérapie mettant en E.M.C (état modifié de conscience?

 

Ce programme de soins pour drogués est contesté par la communauté scientifique officielle. Mais il est cautionné par des gourous de la médecine alternative. Cet agrément est loin des critères définis par l’OMS en matière de médecine traditionnelle (MRT) et de soins primaires dans les pays sous-équipés médicalement. Incluant au passage la médecine des ayahuasqueros réintroduite officiellement en Amazonie par le programme AMRITA 2000.

 

Le directeur de T.. se rend régulièrement en France faire des conférences, publie des articles dans des revues spécialisées dans la Nouvelle Spiritualité et recrute par son charisme indiscutable des candidats pour venir au Pérou prendre l’ayahuasca,  légal là bas et suivre ses enseignements, délivrer les « Nouvelles Clés » du changement de paradigme.

 

T… propose des stages pour adolescents drogués ou non pour goûter à l’esprit de la plante et s’essayer aux rites pseudo-chamaniques; et il y a aussi des séminaires pour adultes non drogués de développement psycho-spirituel.

 

Ce type de centre doit être rentable financièrement pour que l’ex associé de ce médecin, un Espagnol,  en ait monté un autre plus spécialisé dans le développement psycho-spirituel. Son programme est très Science-Fantasy car on y parle parfois de rencontrer les lointains ancêtres de l’humanité, venus d’autres planètes comme les serpents dragons.

 

Lorsque je suis montée sur la péniche, mes deux leaders organisaient des voyages au Pérou vers le centre de cet Espagnol. Depuis deux ans, ils ont monté, eux même, leur centre péruvien jugés par certains émules du pseudo-chamanisme comme déviant.

 

Dans ces dossiers noirs du chamanisme, tout est manipulation de concepts: de l’écologie, de l’anthropologie, de la psychologie, de la médecine alternative et de concepts scientifiques.

 

La pharmacologie de l’ayahuasca est sujette à la manipulation de concepts scientifiques. Les leaders omettent de comparer l’ayahuasca au L.S.D, un stupéfiant prohibé. S’ils admettent que l’ayahuasca contient du DMT, un stupéfiant prohibé moins connu et qui était consommé pour son aspect récréatif lors de l’époque psychédélique, ils insistent sur l’action sérotoninergique de l’ayahuasca, action constatée chez une classe d’antidépresseurs (AD). L’ayahuasca ne serait pas toxique et ne créerait pas de dépendance. Bref, une médecine multi-usages qui guérirait tout, même du cancer. Mais que fait-on des effets secondaires dits psychiatriques?

 

Pourtant, les caractéristiques et effets secondaires de l’ayahuasca sont en partie ceux du L.S.D. Avec une composante pharmacologique et des effets secondaires inconnus soulignés par le Dr Gilbert Pépin.

 

Selon les charlatans du chamanisme, il y a aurait très peu de victimes. Et lorsqu’elles existent, il s’agit le plus souvent d’exceptions, de manquements à des recommandations sur l’usage de l’ayahuasca. Pas celles constatés par les associations de victimes ou les médecins mais comme les résultats d’attaques des esprits maléfiques, de la sorcellerie, et de la magie.  Leur point de vue est de nature parapsychologique, pseudo-scientifique.

 

Si les charlatans sont dans le déni sur les dangers de l’ayahuasca, il semblerait qu’ils  reconsidèrent la question avec l’iboga (drogue et rites associés), évalué plus dangereux que la drogue amazonienne.

 

L’action recherchée en prenant de l’ayahuasca est l’ouverture de la conscience par l’état modifié  de conscience supposée comparable à la transe chamanique. Il faut stimuler « coûte que coûte » par un hallucinogène appelé enthéogène, une zone du cerveau que Vilayanur Ramachandran de l’université de San Diego, a appelé le « Module de Dieu ».

 

La littérature scientifique se montre particulièrement élogieuse envers l’ayahuasca. Réalité surprenante mais quand on y regarde de plus près, on s’aperçoit qu’elle émane de la recherche psychédélique, tolérée outre-atlantique, dans des conditions dites draconiennes, par la FDA. Le directeur de T… a écrit dans MAPS (la revue de la recherche psychédélique) en 1992 et 1996, des articles sur le traitement de la toxicomanie par les plantes amazoniennes. Actuellement, l’ayahuasca est à l’étude dans la branche ethnomédecine de la recherche psychédélique. Par contre, la littérature scientifique classique est prolixe sur les effets secondaires du LSD, du DMT.

 

Seuls deux Européens, de la recherche non psychédélique, précisons le, dénoncent les dangers de l’ayahuasca: Gilbert Pépin, un pharmacologue français, expert auprès des tribunaux. Et le Suisse Laurent Rivier, également toxicologue.

 

Il y a une énorme disparité au niveau du classement de l’ayahuasca en Europe. Car si le DMT est prohibé partout, ce n’est pas le cas de l’ayahuasca et d’autres hallucinogènes naturels.  L’ayahuasca est légal en Belgique, toléré au Pays-Bas dans le cadre religieux de santo daïme, mais illicite en Italie, en Espagne et en France. L’iboga est autorisé en France mais interdit en Belgique. De quoi s’y perdre en matière de législation européenne…

 

Les leaders profitent du vide juridique européen pour recruter des adeptes à tour de bras, organisant les stages sauvages dans les pays où l’hallucinogène x n’est pas interdit. Pendant ce temps là, la liste des victimes ne cesse de s’allonger.

 

Au printemps 2005, les autorités françaises sanitaires (l’ASSAPS) ont durci l’interdiction de l’ayahuasca sur le sol français, en classant la liane elle même, absente du biotope européen. Mais la prohibition de l’ayahuasca dans le reste de l’Europe reste toujours un problème d’envergure, en dehors du DMT.

 

Le feuilleton  des procès européens de santo daïme où l’on prend en guise de sacrement le daïme, autre nom de l’ayahuasca, illustre l’ambiguïté du vide juridique européen et sa consommation  tolérée dans un cadre religieux. Cette église spirite et condomble brésilienne est légale au Brésil tout comme l’ayahuasca l’est dans son cadre religieux. Au Brésil, d’ailleurs, le DMT n’est pas interdit.  Pour ses fidèles, santo daïme, c’est du chamanisme populaire.

 

Si santo daïme est implanté au Brésil, c’est parce que dans ce pays, la doctrine spirite est dans les mœurs. Le Brésil est le premier pays au monde à propager la littérature spirite, en particulier celle d’Allan Kardec. Des bibliobus spirites sillonnent tous le pays, aussi bien dans les campagnes que les centres urbains. Le Mouvement spiritualiste a ses œuvres caritatives qui vont des crèches aux hôpitaux psychiatriques, en passant par les écoles, les maisons de retraite.

 

Santo daïme a des ramifications en Europe ayant fait l’objet d’affaires judiciaires. Il y eût d’abord le procès hollandais en 2001, et puis en 1999, six Français furent arrêtés à Paris en train de consommer le daïme. La charge retenue contre eux est la consommation de DMT; le caractère sectaire de l’église hallucinogène a été abandonné.

Dans ces deux pays de l’Union européenne, les daïmistes sont accusés pour possession, transport et consommation de drogues illicites. En Hollande, au même titre que l’héroïne et la cocaïne, l’ayahuasca est une drogue illégale pour son DMT. Mais voici quelques arguments communs de la défense qui ont permis la relaxe des prévenus en Hollande et en France: il n’y a  aucune base scientifique pour affirmer que le DMT “naturel” est une drogue mettant en péril la santé publique. Le DMT analysé dans les saisies était en quantité insuffisante pour prouver sa toxicité.

 

J’ai assisté aux deux phases du procès français, ayant lieu au palais de justice de Paris, en 2003 et à son appel en 2004. L’expert Jace Callaway, chercheur connu dans la recherche psychédélique, est venu témoigner pour les prévenus aux deux procès européens sur l’absence de dangerosité de l’ayahuasca dans le contexte religieux de santo daïme. Lors de l’audition du procès français à Paris, l’expertise du Dr Gilbert Pépin, faites à partir des échantillons prélevés sur les bidons de daïme mis sous scellés lors de l’arrestation des daïmistes, a été évoquée du bout des lèvres.

 

L’un des avocats de la défense au procès français, partisan de la dépénalisation des drogues dites douces, eût ce mot qui fait le prestige de la profession. Il appela le daïme: le Cidre des tropiques. On ne peut que présumer qu’il n’a pas pris le fameux daïme et qu’il n’a pas fait de bad trip! A souligner que l’un  des autres avocats de la défense a déjà défendu des représentants de sectes qui ont eu des démêlées avec la justice.

 

En 2005, le feuilleton fleuve santo daïme s’est poursuivi: en Italie une vingtaine de daïmistes ont été arrêtés, en mars 2005, par la brigade anti-mafia italienne pour avoir été pris en train de consommer du DMT. Ils sont en attente de jugement.

 

Mais après le jugement français, encore une tolérance de consommation de l’ayahuasca accordée au Nouveau Mexique à l’Union végétale (une branche de santo daïme) dans le cadre religieux. Une précision factuelle: l’Union Végétale est étudiée officiellement dans le département d’ethnomédecine par la recherche psychédélique pour son utilisation rituelle de « thé » (autre nom du daïme).

 

L’avenir nous dira si la justice italienne s’alignera sur cette tolérance religieuse internationale ou s’il sera prouvé le caractère sectaire de santo daïme en Europe. La revue MAPS automne-hiver 2005/2006 fait état des dernières recherches sur l’usage curatif de l’ayahuasca en médecine alternative dans le cadre du rituel de santo daïme, étudié dans le village amazonien Céu Dio Mapià.

 

Je vais conclure par des propos tout frais, recueillis, il y quelques minutes, ici, auprès de la présidente d’une association de victimes du Sud-Ouest de la France. Un congrès d’ethnomédecine s’est tenu à Toulouse, voici une semaine. Ils rassemblaient les leaders d’opinion du pseudo-chamanisme, devenu une voie internationale et royale pour un nouvel usage sectaire des drogues. Certains médecins, sensibilisés à l’ethnomédecine, pensant trouver matière à réflexion, se sont sentis bernés par le contenu du festival et sont prêts à réagir pour démasquer la supercherie.

 

Il se trouvait dans le public des jeunes gens de 18 ans, public probable des rave-party où certains indices laissent supposer une augmentation de la consommation de drogues comme dans les années 70, qui pourraient être intéressés par le masque séducteur du chamanisme, propagé par ces dealers du troisième millénaire, si rien n’est fait pour enrayer le phénomène.

 

L’usage de l’ayahuasca risque de se banaliser très rapidement.  C’est ce qui arriva avec l’ecstasy, il y a plus de vingt ans. La presse encensait cette drogue pour ses qualités d’ouverture de la conscience, d’empathie très new age. Elle est aujourd’hui un fléau qui ravage les rave-party.

 

Je vous remercie de votre attention.

 

Sources: Manuscrit Ayahusca’Connection

Projet Les Dossiers Noirs du Chamanisme

Notes personnelles