Linda Dubrow-Marshall

La question des familles

 

Linda Dubrow-Marshall, Psychologue, présidente de RETIRN [1], professeur invité à l’ Université du Glamorgan, Royaume Uni

 

Je vous remercie tout d’abord de me donner la possibilité aujourd’hui d’aborder, devant vous, le problème des familles dont un être cher est dans une secte ou un culte destructif, un groupe extrémiste ou ayant des exigences élevées, ou dont un des membres se trouve dans une relation bi personnelle où il est soumis à une influence excessive ou à une persuasion coercitive. C’est mon intérêt pour l’Holocauste qui m’a d’abord amené à m’intéresser à cette catégorie de personnes, et aux facteurs qui pourraient contribuer dans certaines circonstances, y compris la pression de groupe, à faire commettre des atrocités par des gens ordinaires, – des gens qui, individuellement et dans des circonstances ordinaires, auraient choisi de ne pas le faire-. Lors de mes premiers travaux, j’ai dirigé des recherches en psychologie sur la pression de groupe qui contribue à l’expression d’affirmations préconçues contre les autres. J’ai appris que la pression de groupe avait un effet significatif, et qu’elle inclinait les gens à affirmer des préjugés même quand ils ne croyaient pas réellement à ce qu’ils affirmaient.

 

Lorsque que j’ai progressé, passant d’étudiante en psychologie-conseil à psychologue conseil accréditée et psychothérapeute, j’ai décidé d’employer mes compétences de clinicienne et de conseillère pour aider des individus et des familles touchés par des sectes destructives. En 1983, alors que je vivais aux Etats Unis, j’ai cofondé RETIRN, le Re-entry Therapy Information and Referral Network, un cabinet médical privé, formé de professionnels de la psychiatrie, spécialisé dans l’aide aux personnes touchées par une influence excessive ou par des sectes. En 2004, je suis retournée en Grande Bretagne pour y vivre avec mon mari, le Professeur Rod Dubrow-Marshall, un psychosociologue qui avait fait de la recherche sur les sectes. Il avait été directeur de recherche et consultant sur la psychologie des sectes, il faisait partie du comité de FAIR en Angleterre et était membre de l’Assemblé Générale de la FECRIS en tant que représentant de FAIR. Ron et moi avons ensemble fondé RETIRN/UK en 2004. En 2006, nous avons déménagé pour le Pays de Galles, où se trouve désormais le siège de RETIRN/UK. RETIRN est membre correspondant de la FECRIS.

 

D’un point de vue personnel, j’ai toujours été très émue par le dilemme des familles qui se sont trouvées propulsées dans ce qui était généralement un domaine inconnu pour eux jusqu’à là, – un monde d’exigences élevées, de groupes exerçant une forte pression et de sectes possédant des techniques sophistiquées d’influence qui avaient changé la personnalité et le comportement de l’être cher de manière significative après son engagement-. Ces familles vivaient dans une peine et une angoisse émotionnelles énormes, et souffraient beaucoup de ce qui arrivait à l’être cher, lequel devenait généralement de plus en plus étranger à sa famille. Tout comme mes collègues de RETIRN, j’étais motivée pour essayer d’aider ces familles.

 

Même si je me suis impliquée initialement dans ce travail à cause de mon intérêt pour la recherche et non parce que moi ou ma famille avions eu à faire à un groupe sectaire, je n’ai pas été indemne du phénomène dans ma vie privée. On a fait des efforts pour me faire entrer dans plusieurs sectes, et j’ai des amis et des personnes de ma famille qui y sont entrés. Et bien sûr, j’ai partagé l’expérience, apparemment universelle, d’être trompée, exploitée et blessée par d’autres personnes ou par des groupes.

 

L’histoire la plus poignante, que je suis à même de partager avec vous, est celle qui est arrivée pendant un temps à mon père. Dans ses dernières années, on lui avait diagnostiqué une maladie potentiellement critique, et il était devenu vulnérable à l’influence excessive. Il a entretenu une relation de type sectaire avec un groupe de personnes qui ne croyaient pas en la médecine traditionnelle, et qui le pressaient d’adopter un mode de vie alternatif extrême, prétendument pour préserver sa santé. Le style de vie en question était en réalité dangereux, et a commencé à affecter sa santé. Je lui disais avec insistance de rester rationnel à ce propos, mais il était incapable de m’entendre. Je n’oublierais jamais quand il m’a dit: « Je sais que je suis dans une secte, Linda, et que tu travailles sur ce sujet-là, mais je te prierais de me laisser faire. » J’ai essayé d’impliquer d’autres membres de la famille pour qu’ils m’aident à persuader mon père de reconsidérer la question, mais ils ont montré peu d’enthousiasme à s’engager, vu l’inflexibilité de mon père sur le sujet. Pour finir, j’ai réussi à ce qu’un avocat contacte le groupe pour demander avec insistance que mon père accepte une évaluation médicale à la demande de la famille. A ce stade, craignant apparemment une action légale, le groupe a jugé que mon père représentait pour eux un handicap potentiel, et ils l’ont rejeté du groupe. Mon père a ensuite trouvé un groupe de personnes plus modérées qui utilisaient certaines techniques de médecine alternative; sa santé s’est amélioré, et ma famille a retrouvé de meilleures relations avec lui pour les années qui lui restaient à vivre. Ce dont je suis très reconnaissante. Bien sûr, la manière d’agir du groupe qui l’a mis dehors en recevant la lettre de l’avocat, après avoir prétendu jusque là être extrêmement attaché à lui, est typique de ce qu’on peut souvent observer dans des sectes – où la pseudo-intimité et le bombardement d’amour ne sont que des techniques pour faire pression sur les gens, en rien comparable à l’affection véritable des membres de la famille et des amis. L’exemple de ce qui est arrivé à mon père montre aussi qu’il ne suffit pas de dire à une personne qu’elle est dans une secte pour l’aider à en sortir, contrairement à ce que peuvent penser des familles concernées.

 

Comme vous pouvez le constater, je sais profondément que personne n’est immunisé contre les sectes, ni en tant qu’individu séparé, ni en tant que membre d’une famille. Je ressens comme un privilège que des familles m’ont fait confiance comme à mes collègues pour les aider lorsqu’ils ont été confrontées à des sectes, et j’ai beaucoup appris des familles avec lesquelles j’ai travaillé.

 

Lorsque des familles prennent contact avec RETIRN, elles se sentent parfois seules et coupées des autres. Très souvent elles n’ont jamais connu d’autres personnes qui aient eu à faire à des sectes. Elles peuvent ne jamais avoir entendu parler du groupe ou des individus abusifs avec lesquels leur être cher se trouve impliqué. Il peut s’agir d’un groupe connu, ou d’un groupe obscur, ou bien le groupe peut avoir changé de nom bon nombre de fois, comme l’a fait Heavens Gate. Récemment, j’ai appris qu’un membre de la famille de quelqu’un impliqué dans Family of God ne me faisait pas confiance à cause de mes activités au sein de l’American Family Foundation, qui s’appelle maintenant Cultic Studies Foundation, parce qu’il craignait que « American Family Foundation » était une autre dénomination de « Family of God« , vu que cette organisation avait changé de nom par le passé.

 

Certaines familles peuvent se sentir trop embarrassées ou trop honteuses pour raconter ce qui se passe à d’autres,- collègues, amis, voisins ou membres éloignés de la famille. C’est une des raisons pour laquelle des familles peuvent croire à tort qu’elles n’ont jamais connu d’autre famille concernée par les sectes, parce que les autres familles n’en ont jamais parlé ouvertement. On comprend parfaitement que les gens hésitent à parler de leurs problèmes de sectes, dans la mesure où ils sont les premiers à être blâmés, pour l’implication de leur être cher, par des gens qui n’ont pas de connaissances sur le sujet. Cela a pour conséquence d’accroître la souffrance à laquelle ces familles doivent faire face. Les apologistes de sectes tendent à mettre le blâme sur des facteurs de santé mentale ou sur des problèmes familiaux lorsqu’une personne se trouve impliquée dans un groupe destructif. Mettre la vulnérabilité aux sectes sur le compte du dysfonctionnement familial revient à nier l’étendue et la portée du problème, et à mal distribuer les facteurs de causalité.

 

Même lorsqu’elles n’y sont pas poussées par d’autres, les familles font souvent l’erreur de se blâmer elles-mêmes de l’engagement sectaire, tout comme les gens scrutent leurs âmes pour chercher l’explication à d’autres phénomènes douloureux: ils cherchent la raison pour laquelle un être cher a développé un cancer ou une maladie cardiaque, a divorcé ou a fait une fausse couche. Est-ce qu’ils auraient dû faire plus? Auraient-ils dû faire moins? Auraient-ils dû faire des choses autrement? Si seulement ils avaient dit quelque chose plus tôt, s’ils avaient dit telle ou telle chose en particulier, si seulement ils avaient été plus religieux ou plus riches ou s’ils avaient fait plus d’études, – toutes ces pensées là peuvent traverser l’esprit des membres de la famille. Autrefois on blâmait les mères lorsque leur enfant devenait schizophrène et il y avait même un terme pour cela : la mère « schizophrogénique ». Aujourd’hui, on apprécie mieux les facteurs étiologiques complexes qui expliquent la schizophrénie, parmi lesquels des facteurs physiques et génétiques sur lesquels on n’a pas de prise. Maisj’entends encore aujourd’hui des gens parler de père ou de mère « personnelle » (ou « sectogénique »), ce qui est très nuisible, erroné et humiliant.

 

De ce fait, une question très importantes pour les familles est de recevoir l’enseignement psychologique approprié sur la psychologie de recrutement des sectes, et plus particulièrement de la secte dans laquelle l’être cher a été entraîné, ainsi que l’importance de la malchance, – avoir été au mauvais endroit au mauvais moment -, en tant que facteurs qui ont abouti à l’emprise d’une secte. Tous les psychothérapeutes ne sont pas à même d’offrir ce service, parce qu’ils n’ont pas été formés à la compréhension des forces psychiques et sociales qui amènent des gens normaux à joindre des groupes destructifs. En réalité, les psychothérapeutes ne sont pas immunisés contre ces groupes; j’ai eu connaissance d’un programme d’assistance psychosociologique qui s’est fait recruter dans son ensemble par une secte pseudo-thérapeutique malfaisante, et aussi d’un service d’orientation et d’assistance d’une université qui était lié à une secte de psychothérapeutes, pour laquelle il recrutait ses clients dans l’université.

Des groupes de soutien aux familles d’adeptes, tels le Family Support Group de Londres, invitent souvent des professionnels qualifiés à venir parler aux familles. Ils aident à désamorcer la honte éprouvée par certaines familles en leur donnant l’opportunité de rencontrer d’autres familles qui ont été touchées de la même manière qu’eux, et de normaliser leur expérience. Il existe beaucoup de groupes qui offrent des tels services, y compris FAIR en Angleterre, l’International Cultic Studies Association qui est basée aux Etats-Unis, et la FECRIS et ses associations affiliées.

 

Internet a eu un impact significatif en ce qui concerne la diffusion d’informations sur les sectes en général et sur des groupes spécifiques. Les organisations que je viens de mentionner publient des informations dignes de confiance, et il est par certains côtés plus facile pour une famille de se renseigner sur la problématique des sectes en restant dans l’intimité de son foyer. Les sectes ont leurs propres sites sur internet, et il est souvent très utile de voir ce qu’elles disent d’elles-mêmes. Cependant, il existe aussi beaucoup d’informations fausses à propos de sectes sur internet, et il est très important de vérifier les informations obtenues à l’aide d’autres sources, et de ne pas tout prendre pour argent comptant.

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Les familles ont besoin d’informations exactes pour pouvoir commencer à comprendre la situation et se préparer à intervenir, si l’intervention est appropriée. Outre le besoin d’informations récentes sur les groupes spécifiques, je mettrais l’accent sur l’éducation psychologique en ce qui concerne la psychologie de recrutement des sectes, l’influence excessive et la persuasion coercitive, pour aider les familles à comprendre ce qu’a vécu l’être cher, et aussi pour leur donner un éclairage sur leur propre vécu émotionnel. Il est important de désamorcer leur colère contre l’adepte en développant leur compréhension de comment les groupes manipulent leurs adeptes, leur permettant ainsi de diriger leur colère vers le groupe, ce qui est plus approprié. Il est important de comprendre que l’intelligence, la situation financière ou la profession n’immunisent personne contre les sectes, et que ce n’est pas la bêtise qui fait que les gens rejoignent des sectes ou y restent. La diversité des membres de Heaven’s Gate constitue un bon exemple qui montre comment il est possible de manipuler des gens très différents, cultivés pour les uns, sans culture pour des autres, pour les amener à sacrifier leur vie. C’est une dynamique qu’il est important de comprendre à une époque ou nous devons aborder le problème des actions terroristes, parmi lesquelles des attaques-suicide. Il peut être fructueux à ce sujet de comprendre le lien affectif avec le groupe, la manipulation des sentiments, la perte de l’individualité, le sentiment de supériorité, l’offre d’un but supérieur dans la vie, l’opportunité d’avoir un impact au nom d’un bien supérieur et de parvenir à entrer dans une vie parfaite après la mort. Cela permet de mieux comprendre comment les terroristes sont recrutés et façonnés avant de commettre des actions atroces.

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J’ai évoqué le problème de familles blâmées à tort de se trouver en prise avec des sectes, mais un autre problème pour les familles en est l’exact opposé – c’est à dire la négation des facteurs individuels de santé mentale et des problèmes familiaux qui pourraient exister, et qui auraient éventuellement eu une influence sur le recrutement de la personne, sur la durée de son appartenance au groupe, son degré d’implication et ses difficultés pour en sortir. C’est une chose compliquée à expliquer, et il me semble important de l’aborder en gardant à l’esprit ce que j’ai dit précédemment sur le fait qu’on a tort de blâmer la famille. Mais soyons clairs, ne pas prendre en compte les problèmes de la famille est également une erreur. Lorsque des familles viennent me demander de l’aide, j’utilise mon savoir en tant que psychothérapeute et psychologue pour évaluer les problèmes familiaux qui pourraient compliquer l’engagement sectaire et entraver la capacité de la personne à quitter le groupe. Les sectes concernent une grande variété de familles, avec des forces et des faiblesses variables, et je crois qu’il est important de regarder chaque individu dans une secte ainsi que sa famille au cas par cas, et d’aborder avec honnêteté les problèmes familiaux qui pourraient exister dans une optique de soutien. Je suis à même d’offrir ce soutien dans le contexte psychothérapique, mais d’autres pourraient également l’apporter d’une manière différente, sans faire de la famille un bouc émissaire ni la blâmer comme si elle avait été seule à l’origine du problème.

 

J’aimerais bien, avec votre permission, donner quelques exemples de comment aborder des domaines dysfonctionnels pour aider des familles à faire face aux problèmes des sectes. Un problème courant, est que la famille n’est pas toujours d’accord sur ce qu’il convient de faire, ou même s’il faut faire quelque chose, ou à quel point il convient de s’inquiéter. Est-ce que le groupe en question est réellement une secte? Certains groupes ne sont pas très connus, et c’est difficile à déterminer. Parfois il s’agit d’une secte, mais le membre de la famille en question n’a que des rapports limités ou marginaux avec le groupe, ce qui ne constitue pas vraiment un engagement sectaire. Ce genre de personne aurait besoin d’un type d’intervention et d’une stratégie de sortie différentes de ceux d’un adepte qui a voué sa vie entière à la secte – vivant avec le groupe, donnant tout son argent au groupe, vénérant le dirigeant de la secte, se sentant supérieur à tous ceux qui ne font pas parti du groupe, etc. Parfois il s’agit d’un groupe qui a des exigences élevées par certains côtés, sans être vraiment une secte, mais la personne impliquée est obsessionnelle de nature, et elle a pour cette raison développé une relation de type sectaire avec un groupe qui n’exigeait habituellement pas tant de dévotion et d’allégeance. Une personne de ce type nécessiterait que la préparation de l’intervention soit faite avec un soin particulier ; elle pourrait en outre être plus vulnérable qu’une autre et rejoindre un deuxième groupe hautement exigeant peu après avoir quitté le premier. Consulter quelqu’un d’extérieur compétent dans ce domaine, comme un psychothérapeute, un conseiller de sortie de secte, ou un consultant sur la réforme de la pensée, les écouter et se munir de réactions plus objectives par rapport à l’évaluation du problème et à la variété d’interventions possibles, peut être d’une grande aide pour la famille.

 

Il existe une foule d’autres conflits et de problèmes dans le mariage qui risquent de diminuer les chances de succès de l’intervention. Je travaille avec une famille dont les parents sont divorcés, et peuvent être décrits comme se haïssant l’un l’autre. A ce jour, je n’ai pas réussi à réunir les parents pour une session de conseil ni à proposer un plan d’action unifié. Si bien que pour le moment, je travaille avec seulement un des parents, ce qui nous limite, car nous ne sommes pas en mesure de compter sur l’autre parent pour communiquer et intervenir d’une manière qui soutienne les plans de communication et d’intervention que nous avons dressés pour aider l’enfant à quitter la secte. Une autre fois, j’ai pu faciliter la communication entre des parents et des grands parents qui se déchiraient, en particulier, sur la façon d’aider un proche à sortir d’une relation malsaine avec une autre personne, relation où la religion jouait un rôle déterminant. A cause de ressentiments et d’incompréhensions de longue date, les deux générations s’adressaient à peine la parole avant l’intervention; le fait d’avoir partagé l’expérience de s’inquiéter pour un des membres de la famille n’a malheureusement pas suffi à guérir ces profondes blessures familiales. Mais la famille fut capable de se réunir, prendre des mesures de soutien et intervenir auprès du membre de leur famille qui a fini par quitter sa relation sectaire. C’était une intervention de conseil tout à fait unique, avec beaucoup de moments tendus et de défis pour moi. A ce jour, les deux générations ont du mal à entretenir quelque relation aimable que ce soit, et le petit-enfant qui a quitté la secte coupe généralement ses vacances en deux pour être avec chaque famille séparément.

 

Un autre exemple de problème familial pertinent est celui où l’un des parents blâme l’autre pour l’engagement sectaire de leur enfant. Des sentiments de colère intense d’un des parents contre l’autre tendraient à empêcher toute intervention conjointe auprès de l’enfant. Un autre problème est celui de parents qui ont très peur de tout type de confrontation de crainte de perdre définitivement le contact avec l’adepte ; un autre est due l’un des parents le ressent ainsi tandis que l’autre n’est que trop désireux d’une confrontation musclée, laquelle pourrait se retourner contre eux. Une approche fructueuse est de tenter d’unir les membres de la famille ou d’autres personnes inquiètes parmi des proches de l’adepte avant de mettre en oeuvre l’intervention pour aider la personne à quitter le groupe ou la relation sectaire. Comme lors de n’importe quelle intervention, c’est d’un grand secours d’aider la famille à comparer les risques des diverses actions aux risques de ne rien faire du tout. Ainsi, une famille qui n’agit pas de peur qu’une confrontation amène l’adepte à s’éloigner totalement de la famille, pourrait prendre un risque encore plus grand en ne faisant rien alors que le comportement de l’adepte devient de plus en plus perturbé ou dangereux. Je dois admettre que j’ai dû soutenir beaucoup de familles qui souffraient d’avoir trop attendu avant d’intervenir, parce qu’ils avaient espéré que c’était juste un passage, ou parce qu’ils avaient tardé à se renseigner sur le groupe.

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Quelques familles font l’erreur de vouloir agir trop vite, ou pensent qu’elles peuvent juste dire quelque chose de magique, et la personne va « avoir un flash » (« snap out of it »). Certains membres de familles sont obsédés par cette idée et surveillent chacune de leurs paroles, dans la crainte de laisser passer une opportunité. Tout comme il est habituel de recommander aux soignants de trouver le juste milieu entre le soin qu’ils donnent aux autres et le soin qu’ils prennent d’eux-mêmes, il est important pour les familles de trouver le juste milieu entre les ressources qu’ils dévouent à l’être aimé pour qu’il quitte la secte et le fait de trouver le temps, l’énergie et l’argent pour d’autres occupations.Aussi curieux que ça puisse paraître, à certains moments il est tout simplement plus important pour une famille de faire une pause, de passer des vacances tranquilles quelque part peut-être, ou d’entreprendre d’autres activités qui pourraient renouveler leurs propres forces, leur spiritualité ou leurs liens avec d’autres personnes. Un autre problème est de trouver un équilibre avec les besoins des frères et des soeurs, qui sont peut-être en proie à leur problèmes de développement ordinaire, et qui peuvent avoir du mal à accepter le temps et les ressources dévoués au seul enfant qui a le problème inhabituel d’être dans une secte.

 

Les gens quittent les sectes de beaucoup de manières différentes. Certains s’en vont, tout simplement, sans aucune intervention. Certains quittent le groupe graduellement. Certains semblent en sortir dans un flash (« snap out of it »). Ce que nous savons par notre travail avec des personnes qui ont quitté un groupe, est qu’il est très habituel pour les gens d’avoir des doutes, même pendant qu’ils sont dans le groupe. Les sectes le savent, et enseignent souvent des techniques spéciales que leurs adeptes pratiquent lorsqu’ils ressentent un doute. Il peut s’agir de techniques qui paralysent l’esprit, comme de chanter ou de se confesser et se sentir honteux en le faisant. Si la secte utilise des techniques qui paralysent l’esprit, il est important que les membres de la famille utilisent des techniques qui l’ouvrent, en communicant d’une manière qui aide la personne à rétablir ses facultés critiques et à développer une réflexion et une évaluation indépendantes. Il peut s’avérer très utile de rappeler à la personne les choses qu’elle a vécues autrefois, et qui lui manquent peut-être, car son engagement dans le groupe lui interdit de poursuivre ses relations d’avant, ses intérêts, sa carrière, etc. Les photos peuvent être utiles. Trop de photos pourraient sembler trop flagrant ou trop accablant. Choisir le moment et l’allure de certains messages de la part des membres de la famille est cruciale, et c’est utile pour eux d’avoir des conseils à ces sujets, d’autant que leurs propres impatiences, craintes ou réticences peuvent interférer avec l’efficacité des interventions. Mais cela aide de savoir que, quelle que soit la rigidité apparente de l’adepte, il y aura des moments où la personne connaîtra le doute, et que si cela peut être exploité d’une manière positive, les doutes de la personne pourraient grandir pour devenir une stratégie de sortie.

 

Il est important d’évaluer les problèmes individuels d’avant la secte ou exacerbés par elle qui pourraient influencer l’engagement dans la secte ou le processus de la quitter. Ceux-ci peuvent inclure des problèmes de santé mentale préexistants, qui sont généralement de nature moins sérieuse que des désordres psychiques arrivés à maturité tels que l’angoisse et la dépression. Certaines personnes vont vivre un épisode psychotique pendant qu’ils sont dans le groupe, à cause de la pression, et certains ont rejoint la secte à un moment où ils étaient peut-être sur le point de faire un épisode psychotique de toute façon. Si bien que le problème du diagnostic est difficile et que les personnes auront des besoins différents en ce qui concerne le conseil ou la psychothérapie après avoir quitté le groupe. La dépendance aux drogues peut constituer un autre facteur, et certains adeptes auront subi des maltraitances physiques, émotionnelles, sexuelles, voire même financières et spirituelles.

 

La famille peut penser que ses problèmes sont terminés lorsque l’adepte quitte le groupe, mais il peut y avoir beaucoup de problèmes difficiles pour la famille même à ce moment-là. D’anciens adeptes éprouvent souvent du désespoir, de l’anxiété, des phobies, de la honte et de la culpabilité (surtout d’avoir recruté d’autres personnes pour la secte, ou d’avoir manqué des événements familiaux importants, même des enterrements), de la colère, de l’affliction et autres émotions difficiles et intenses. Ils peuvent avoir à affronter des problèmes d’identité, et leur chemin normal de développement peut avoir pris du retard dans la mesure où l’éducation, la carrière et les relations avec d’autres ont probablement connu une interruption. Il y a beaucoup de problèmes ordinaires qui doivent être abordés, outre la question spécifique d’essayer de comprendre ce qui leur est arrivé, ce qu’ils peuvent tirer de leur expérience et se prémunir d’une implication dans une secte dans le futur.

 

D’anciens adeptes ne retrouvent pas nécessairement leur personnalité d’avant la secte, et

le fait pour la famille d’y être sensible, d’accepter le cheminement individuel de la personne lorsqu’elle réintègre son ancienne vie, peut être amélioré en portant des espoirs réalistes. D’anciens adeptes ne sont pas toujours reconnaissants envers leur familles pour les dépenses, le temps, l’énergie et d’autres ressources qu’ils ont dispensés pour les aider à sortir. Ils peuvent paraître froids et indifférents, alors qu’ils sont avant tout désorientés. Il est habituel d’éprouver une certaine dissociation de la réflexion et des sentiments après l’expérience de la secte, et une psychothérapie peut apporter une aide pour ces problèmes. Il est important que les membres de la famille comprennent que la personne peut avoir tiré quelques expériences ou idées positives de son engagement dans la secte, et lui fournir les opportunités d’exprimer ces sentiments ; j’encourage donc les familles à avoir l’ouverture d’esprit nécessaire pour écouter la totalité de l’expérience de leur proche. C’est comparable à accepter qu’une personne puisse encore avoir quelques sentiments positifs envers sa femme ou son partenaire précédents et quelques bons souvenirs de ce qui allait s’avérer être une relation ou un mariage médiocre.

 

Il y a plusieurs bons livres et articles qui peuvent donner des idées aux familles, et je suis heureuse de recommander ceux qui suivent:

 

Releasing the Bonds : Empowering People to Think for Themselves, par Steven Hassan. Les parties sur la communication orientée vers un but, les stratégies de communication et promouvoir la liberté d’esprit, sont particulièrement utiles. « Freedom of mind » est par ailleurs le nom de son site internet. Je suis reconnaissante à Steven Hassan d’avoir expliqué l’existence de phobies induites par des sectes chez les adeptes, que la secte imprime dans la personne l’idée que quitter le groupe reviendrait à s’exposer à la mort, à devenir fou ou à d’autres résultats horribles. Il est très utile de connaître ce phénomène lorsque l’on dresse les plans pour une intervention, car cela nous rappelle à quel point il est difficile de quitter un groupe. Cela va à l’encontre de l’idée habituelle, qui méconnaît la raison pour laquelle des personnes restent dans des groupes destructifs, blâmant des facteurs personnels plutôt que des facteurs de groupe pour expliquer pourquoi la personne y reste. Steven Hassan a développé une Approche Stratégique d’Interaction, qui est bien adaptée.

 

Coping with Cult Involvement : A Handbook for Families and Friends, par Livia Bardin.

Les parties sur la communication avec des adeptes sont particulièrement utiles, comme d’envoyer des messages importants, utiliser le langage intime, écouter et répondre, et développer un plan stratégique. Elle a aussi des idées pour retrouver une personne disparue, une circonstance particulièrement tragique qui se produit parfois dans les sectes.

 

Family Interventions for Cult-Affected Loved Ones, par Carol Giambalvo.

Ses descriptions de scénarios possibles pour présenter le plan d’intervention auprès de l’adepte sont particulièrement utiles, car c’est quelque chose qui inquiète généralement beaucoup la famille. Est utile aussi la partie qui traite de ce qu’il convient de faire lorsqu’un adepte décide de retourner dans la secte après une intervention. Elle inclut en outre des Standards Ethiques pour des Consultants en réforme de la pensée, auxquels beaucoup de conseillers en sortie (exit-councillors) ont souscrit. C’est important, car si les professionnels de santé mentale accrédités et diplômés sont normalement tenus comme responsables devant un code d’éthique, les conseillers en sortie de secte s’y tiennent généralement sur une base volontaire, mais pas tous.

 

J’aimerais conclure mes remarques par un commentaire sur un modèle différent de psychothérapie que j’ai trouvé utile dans mon travail avec des familles, et c’est un modèle de réduction des dommages qui a été développé par des psychologues en psychothérapies pour des personnes ayant un problème de dépendance. Ce modèle fut développé parce que certains patients quittaient le traitement lorsqu’on leur disait qu’il n’y avait qu’un moyen de régler le problème : s’abstenir totalement de la substance dont ils étaient dépendants. Certains drogués et alcooliques, par exemple, ne peuvent envisager le fait de ne plus jamais boire un verre ni utiliser leur drogue de prédilection. Ils peuvent se sentir asservis par des groupes d’auto-assistance, tel que les Alcooliques Anonymes, qui peuvent dire que c’est la seule méthode. Le modèle de réduction des dommages essaye de rencontrer la personne à son propre niveau de motivation, et d’augmenter sa motivation pour changer son comportement sur le long terme et tenter de réduire les effets dommageables de la dépendance. Par exemple, des personnes qui boivent tous les jours peuvent être encouragées à ne boire que le week-end, ce qui leur permettrait de garder leur travail ; des gens qui boivent et conduisent pourraient au moins arriver à opérer le changement de ne pas conduire après avoir bu, un changement qui sauverait leur vie et celle d’autres. Je pense que ce modèle pourrait être appliqué pour aider des adeptes et leurs familles. Par exemple, si vous ne pouvez pas réussir à ce que l’adepte quitte totalement le groupe, vous pouvez peut-être réussir à minimiser une partie des dommages en travaillant de manière créative vers des changements de comportement. Ceci pourrait inclure de garder le contact avec l’adepte, peut-être réussir à l’impliquer dans certaines activités familiales normales tout en faisant partie de la secte, chercher comment il pourrait continuer ses études ou sa carrière pendant qu’il est encore dans la secte, ou d’autres mesures du même type. Cela pourrait aussi inclure d’aider la personne à s’abstenir de maltraiter les enfants, lorsque ceci est préconisé par le groupe, sans s’attaquer aux autres croyances de la secte.

 

Une intervention efficace auprès d’adeptes demande beaucoup de réflexion, de discussion, d’étude et de conseil. Des familles dont un des êtres chers est dans une secte ou dans une autre relation ou dans un groupe hautement manipulateur, sont en proie à beaucoup de douleurs émotionnelles, et sont obligées de faire face toutes seules pour nombre d’entre elles.

 

Merci encore de m’avoir donné l’opportunité aujourd’hui de partager avec vous quelques unes de mes réflexions sur les problèmes des familles. J’aimerais maintenant passer la parole pour des questions et des commentaires.

 

[1] Re-Entry Therapy, Information & Referral Network