Alexander L. DVORKIN

RUSSIE

Alexander L. DVORKIN

– Professeur,
– Directeur de St-Irenaeus of Lyon Center of Religious Studies

Considération sur les dérives sectaires
dans le domaine de la santé au sein des pays de l’ex-URSS.

Nadezhda Antonenko habite dans une banlieue de Moscou. Elle a travaillé comme Directrice d’un Camp d’Eté des Jeunes Pionniers (une version communiste soviétique des scouts). Elle a alors développé un grand intérêt pour les méthodes de guérison extrasensorielles et la médecine alchimique « traditionnelle ». Puis est survenu l’effondrement de l’Union Soviétique, et avec elle, celui de l’organisation des Jeunes Pionniers. Peu de temps après, en 1992, Mme Antonenko a eu, comme par hasard, la vision d’un mystérieux vieillard vêtu de blanc, qui lui aurait offert sa baguette et lui aurait demandé de se convertir au Christianisme pour guérir les gens. En même temps que cette baguette invisible, Mme Antonenko a reçu une énergie qui l’a imprégnée au point de lui permettre de voir à travers les objets opaques. Sa conversion au christianisme s’est bornée à placer quelques icônes dans sa chambre et à apprendre par cœur quelques prières. Ella a commencé par recevoir des visiteurs et réciter des prières avec eux. En 1994, elle s’est mise à entendre des voix mélodieuses lui disant qu’elle avait reçu le don de guérir les maladies cancéreuses. C’est ainsi qu’elle a commencé son activité.

Nadezhda Antonenko est aujourd’hui la fondatrice et la directrice du  » Centre de Médecine et de Réadaptation de Nadezhda (Espoir) « . Elle est toujours entourée de dizaines de personnes soi-disant guéries d’un cancer en phase terminale, principalement grâce à ses soins.

Elle sait comment « charger » l’eau avec l’énergie qui lui a été transmise par le vieillard lors de sa première vision. Elle peut émettre différents types d’énergie et l’eau ainsi « chargée » est appelée soit « solution Antonenko n°1 », « solution Antonenko n° 2 » etc. L’une des solutions peut s’utiliser en gouttes nasales, en hydrothérapie (lavements), et même en injections intraveineuses. Elle enferme hermétiquement l’autre type de solution dans un vase en verre personnalisé qu’elle conserve au Centre. Au bout d’un moment une sorte de vie apparaît dans l’eau, sous forme de moisissure, de champignons, de flore bactérienne ou autres. Bien entendu, chaque vase est différent. Selon Mme Antonenko, c’est la maladie de chacun de ses patients qui, grâce à ses méthodes uniques, a été transplantée (par téléportation) depuis leurs corps jusque dans les vases. Et la maladie y restera aussi longtemps que ses patients lui obéiront et respecteront les règles de la communauté.

Voilà la clé de son succès. Elle a défini de nombreuses règles : par exemple, pour se sentir bien, le patient devra nettoyer sa maison de toutes les plumes d’oiseaux, qui retiennent l’énergie négative des oiseaux morts. Ils doivent également se débarrasser de toutes les images, à l’exception des représentations et des portraits de Mme Antonenko. Ils doivent en outre se débarrasser de tous les animaux domestiques, particulièrement les chiens et les chats (Antonenko se base sur le verset de la Bible :  » Maudit soit celui qui couche avec quelque bête que ce soit » (Deut. 27:21). La présence de métal jaune dans la maison est également considérée très nocive. Antonenko propose de s’en débarrasser au Centre plutôt que de se contenter de le jeter, afin que personne ne puisse le trouver et ne soit tenté de le rapporter chez lui.

Elle propose également un diagnostic personnalisé : si, par exemple, elle trouve à l’examen microscopique une cellule sanguine qui ressemble à un papillon, le patient devra s’abstenir de tout contact avec les papillons, et même des images les représentant. Si elle en trouve une qui ressemble à une bouteille, le patient devra s’abstenir de boire, etc. Il existe beaucoup d’autres règles, la principale étant que le pouvoir de guérison de Mme Antonenko n’est efficace que si la personne reste au sein du groupe. L’incrédulité des proches risquerait en effet de produire suffisamment d’énergie négative pour que la maladie repasse du vase au corps. C’est ainsi que Mme Antonenko explique les nombreux décès qui surviennent parmi ses patients.

Mais il existe quand même de nombreux cas de guérison. Voici comment cela se passe : elle diagnostique systématiquement un cancer en phase terminale chez la quasi-totalité des personnes qui se présentent au centre de diagnostic pour un mal quelconque. la phase terminale n’est pas opérable et la guérisseuse-miracle devient le dernier espoir. Ensuite, une pseudo guérison a lieu et la personne reste au sein du groupe, coupant toute relation avec ses proches et ses amis et passant pratiquement tout son temps au Centre de Nadezhda Il arrive souvent que des proches apprennent le décès des leurs des mois ou parfois même des années plus tard.

De toutes façons, Mme Antonenko a toujours le dernier mot pour expliquer les décès survenus dans la secte : rien de bon ne pourra arriver en Russie tant que ses armoiries représenteront un aigle bicéphale : un mutant génétique.

La secte d’Antonenko n’est qu’un exemple parmi les nombreux cultes guérisseurs qui ont envahi la Russie. L’aide médicale dans ce pays est très coûteuse et peu fiable. C’est pour cela qu’une grande partie de la population a recours, en cas de besoin, à la médecine d’état, qui dispose d’un budget rudimentaire et ne peut offrir qu’une aide très basique. Pour de meilleurs soins, il faut payer, et payer cher. Il est donc normal que la population soit attirée par les promesses publicitaires de guérison définitive grâce à une nouvelle méthode révolutionnaire. Il faut se rappeler que l’URSS, dans sa tradition matérialiste et son athéisme militant, avait développé un véritable culte de la science. On ressassait au peuple que la science était omnipotente ou le serait dans un avenir proche une fois qu’il ne resterait plus rien à découvrir. C’est pour cela que les nouveaux guérisseurs n’ont plus qu’à présenter leur produit en des termes scientifiques, ou du moins pseudo scientifiques. Tout le reste n’est que marketing…

On peut diviser en au moins quatre groupes les sectes qui utilisent un appât médical :

    1. Le premier comprend les sectes dont l’objectif principal est la guérison..
    2. Le deuxième concerne les sectes dont les promesses de bonne santé constituent une partie importante de leur propagande..
    3. Le troisième groupe comprend divers psycho cultes qui se présentent sous la forme d’un cours de psychologie qui promet de montrer la voie vers le succès, la richesse et la santé.
    4. Il ne faut pas oublier non plus la multitude de guérisseurs individuels, sorciers, shamans, et tous ceux qui prétendent posséder des pouvoirs surnaturels et toutes sortes d’énergies – tous ceux que l’on qualifie en Russie d' »extralucides » et qui proposent leurs services à tous les coins de rue. Certains parmi eux ont leurs propres « groupies », qui peuvent finir par devenir des adeptes de leur secte.   Ces sectes sont parfois organisées comme des écoles d’hypnose, de guérison, de sorcellerie etc. Certains étudiants finissent par devenir instructeurs et c’est ainsi que la secte prolifère.

Commençons par le premier groupe.

En plus de la secte de Mme Antonenko, on trouve en Russie des sectes qui impliquent le Reiki sous ses différentes formes, les cultes guérisseurs New Age de « Médecine Ayurvédique » (bien que cette dénomination soit quelquefois utilisée par la « Méditation Transcendantale » qui appartient au deuxième groupe), l’homéopathie occulte pyramidale, les ventouses, l’aromathérapie, etc. On trouve également des sectes russes comme celle de Mirzakarim Norbekov, l’ »Académie des Problèmes frontaux » de Zolotov, « l’Ecole DEIR » (Développement de l’être humain basé sur l’énergie et les informations), « l’Ecole de Lhasa » et plusieurs autres groupes.

Juste quelques mots sur les deux premiers :

M. Mirzakarim Norbekov (un Ouzbek qui s’est installé à Moscou il y a environ dix ans), affirme pratiquer la médecine Soufie, prétend être docteur en divers sciences et arts, académicien de plusieurs académies, et propose un système d’apprentissage et d’exercices sensés garantir une santé de fer. A la fin du premier cycle, les étudiants doivent se débarrasser définitivement de leurs lunettes…L’argument est le suivant : vous avez le choix. Voulez-vous être un débile complet et rester malade ou alors voulez-vous être en bonne santé ? Si vous choisissez la dernière solution, il vous faut croire au grand Norbekov et suivre son enseignement. Vous devez alors apprendre certaines pratiques étranges telles que, par exemple, respirer par les yeux. Mais surtout, vous devez avoir la foi. Si vous l’avez, votre corps finira par réagir en conséquence.1 En fait, ceci est très proche de l’idée principale des Néo-Pentecôtistes dont nous parlerons plus avant. Aux niveaux les plus avancés, Mr Norbekov propose de guérir l’impuissance. Les anciens membres rapportent que ces cours impliquent ce qu’on appelle des « pratiques tantriques », un euphémisme pour désigner des relations sexuelles de groupe sous différentes formes.

Boris Zolotov, fondateur de l’‘Académie des problèmes frontaux’ est connu pour ses séminaires qui, comme il le promet, peuvent changer complètement un homme ou une femme et lui rendre définitivement la santé physique et psychique et ainsi les transformer en conquérants victorieux de la vie. Ces séminaires durent longtemps (jusqu’à dix jours) et impliquent une vie commune dans un espace clos (un appartement ou une salle louée) pour les nombreux participants qui sont entassés dans ces pièces où ils mangent, dorment et accomplissent toutes les tâches du séminaire. Il arrive parfois que tout le groupe sorte (généralement tard dans la nuit) pour des exercices au grand air ou pour se rendre dans un hammam public loué pour l’occasion. Le reste du temps, ils sont à l’intérieur, occupés à faire des choses étranges et humiliantes, souvent maltraités physiquement par M. Zolotov et ses assistants (recrutés parmi eux) avant de se voir prodiguer étreintes et autres caresses. Ces séminaires comportent une grande part d’activité sexuelle, généralement exécutée face à l’assemblée par les couples désignés par M. Zolotov. A sa demande, il arrive que les adeptes aient à se masturber devant tout le monde. Il les fait parfois se battre puis, à son signal, leur demande de s’arrêter et d’avoir des rapports sexuels etc. Souvent M. Zolotov montre à tout le monde comment faire correctement l’amour – en général avec les participantes les plus jolies … Il est évident que toutes ces pratiques détruisent la psyché d’un être humain et le réduisent à un simple objet entre les mains de Zolotov ou d’un autre maître de la secte

Mais la secte peut-être la plus connue, la plus développée et la plus influente de ce type est celle de Porfiry Ivanov Ce personnage (1898-1983) prétendait que pour parvenir à la vie éternelle, un être humain doit apprendre à vivre nu, en s’abstenant de manger et de boire. Ainsi, plus vous apprenez à vivre au mépris des besoins naturels, plus vous allongez votre vie. M. Ivanov était à moitié analphabète, présentait une schizophrénie à un stade avancé et, hiver comme été, était vêtu d’un simple bermuda et se prenait pour Dieu et le Sauveur de l’humanité. Ses adeptes devaient observer des rituels divers, tels que marcher tous les jours pieds nus dans la neige, se verser des seaux d’eau glacée sur le corps, jeûner du vendredi soir au dimanche après-midi, ne jamais cracher, ne jamais s’asseoir, vivre en communauté et invoquer des prières à leur Maître (qui a fini par mourir, malgré toutes ses promesses). Il ne s’agit là que de quelques règles de vie parmi bien d’autres. Evidemment, toute aide médicale est strictement interdite – si on respecte ces règles et que l’on y adhère, une santé parfaite est normalement garantie.

A la mort de Porfiry Ivanov, la secte s’est scindée en deux parties La plus petite était dirigée par la veuve de M. Ivanov puis par ses héritiers, alors que l’autre, beaucoup plus grande, était dirigée par Yury Ivanov (aucun lien avec Porfiry), qui a même hérité du bermuda de son Maître qu’il porte pour des occasions spéciales. Aujourd’hui ses adeptes surnomment Yury Ivanov  » le Jeune Maître « . Mme Sara Nazarbayeva – première dame du Kazakhstan, soutient la première secte d’Ivanov, tandis que Mme Miriam Akayeva – première dame du Kirghizistan, soutient la deuxième. Les deux dames ont tout fait pour introduire les règles et le système d’Ivanov dans les écoles, les orphelinats et les armées de leurs pays respectifs. Imaginez simplement les enfants qui devaient rester debout pendant toutes les leçons ! Heureusement, il n’a pas été adopté dans toutes les écoles (le remplacement des pupitres coûtait trop cher), mais on utilise beaucoup les seaux d’eau glacée. Avant ce rituel, tous les enfants et les soldats doivent lever les mains en l’air pour implorer Profiry Ivanov, absent physiquement, mais toujours présent dans les esprits : « Maître, donnez-moi la force, donnez-moi l’énergie ! »

Les deux sectes Ivanov ont leur siège dans la province de Lugansk en Ukraine, à environ 50 km l’une de l’autre. Les deux vivent en communautés fermées et pratiquent le partage de tous les biens. Les deux sièges servent de centre de pèlerinage aux milliers d’Ivanovites qui proviennent de tous les pays de l’ex-URSS. Ils ont en fait une énorme influence, car l’enseignement de Porfiry Ivanov est dispensé par le biais de la matière scolaire intitulée ‘Valéologie’(science de la santé), qui était enseignée jusqu’à une époque récente dans la quasi-totalité des écoles russes. Il s’agissait bien sûr d’un cours passablement occulte, malgré son apparence pseudo-scientifique.

Il comprenait beaucoup d’éléments New Age, ou théosophiques et anthroposophiques, quelquefois un peu de scientologie et de dianétique, et surtout, beaucoup de Porfiry Ivanov, qui parle tant d’un corps sain (« Le corps du maître, dit-il en parlant de lui-même, est la beauté suprême […] il émane un arôme merveilleux, il a été sanctifié.

 » Grâce à mon arôme merveilleux, le monde entier a besoin de moi »). 2 On a bourré tout ça dans le crâne des écoliers russes.

En fait, la valéologie a été largement développée par le Département de valéologie de l’université pédagogique de Samara (mégalopole russe sur la Volga), dont la chaire est détenue par le père du « jeune Maître » Gennady Ivanov.

Le « jeune Maître » lui-même est professeur agrégé dans le département, et sa femme Antonina y est maître de conférence. Son sujet favori (naturellement, l’Ivanovisme mis à part) est l’urinothérapie, qu’elle cherche à diffuser partout.

Pour donner une idée du niveau scientifique de l’agrégé Ivanov, je vais citer deux idées trouvées dans ses publications. Par exemple, il enseigne que l’Univers est une sorte de spirale éthérée. L’éther dont il est constitué est un « courant vivant de minuscules tempêtes brillantes qui sont hiérarchisées par leurs vibrations et se déplacent à vitesse supersonique le long de la spirale polymérique fermée.3 Il écrit également que « dans la région du Triangle des Bermudes, il y a un trou en spirale de 6,5 Km de profondeur. A l’opposé de la terre, au centre de l’Australie, surgit de la terre la célèbre Roche Rouge, qui constitue le sommet d’un corps conique de 6,5 Km de haut (partie sous terre incluse). Elle finira par devenir une nouvelle Lune ».4 Et pourtant, ce délire est enseigné aux écoliers et aux collégiens !

Grâce aux protestations actives des croyants orthodoxes, la valéologie a été supprimée du programme au lycée. Mais la victoire est loin d’être complète : tout d’abord, dans beaucoup d’écoles, la valéologie est toujours enseignée sous des appellations différentes. Ensuite, les départements de valéologie existent toujours dans plusieurs universités. Cela veut dire que des publications sortent toujours, que l’on recrute toujours de professeurs de valéologie et évidemment, qu’ils cherchent des secteurs auxquels ils pourront offrir leurs services.

Et les Ivanovites ont réussi le plus important : pour la plupart des citoyens de l’ex URSS, le système Ivanov n’est rien de moins qu’une méthode de vie saine et d’exercice. Avec une telle réputation, les adeptes n’ont aucun problème pour promouvoir le système et recruter de nouveaux membres.

Passons à présent au deuxième groupe de sectes qui ont recours à l’appât médical.

Je vais m’attarder un peu sur le cas de l' »Eglise du Dernier Testament » de Vissarion et le « Faith Movement » (Mouvement de la foi) des Néo pentecôtistes, même si beaucoup de mouvements font partie de cette catégorie, depuis la scientologie jusqu’à la Méditation transcendantale.

« L’Église du dernier Testament« , fondée par Sergey Torop, ancien agent de la circulation, qui prétend être la nouvelle incarnation du Christ – Vissarion – est probablement l’une des sectes russes les plus connues en Occident. Le siège de la secte se trouve dans le territoire de Krasnoyarsk au sud de la Sibérie centrale, dans la Taïga, où les adeptes, qui ont immigré des grandes villes, vivent dans plusieurs villages et construisent eux-mêmes la Sun-City, totalement écologique, dans laquelle ils sont sensés vivre pendant et après la fin du monde, qui, d’ailleurs, serait toute proche, selon les prémonitions de Vissarion : elle aurait commencé l’an dernier pour s’achever d’ici 2015.

Seuls survivront ceux qui vivent avec le Messie dans les terres écologiquement pures du sud de la Sibérie centrale (qui, de surcroît est le Centre de la Terre), et suivent toutes ses règles, qui sont nombreuses. Ceux qui tiendront jusqu’au bout seront sauvés : leur génotype changera à un degré jamais envisagé jusqu’ici : ils parviendront même à respirer de l’azote à la place de l’oxygène, et survivront ainsi à la catastrophe écologique qui tuera tous les habitants de la Terre. Leurs corps transformés leur permettront d’accéder à la vie éternelle. Environ cinq mille adeptes vivent dans le territoire de Krasnoyarsk autour de Vissarion, et probablement autant dans d’autres régions.

Les règles comprennent un régime végétalien très stricte (végétarien, sans aucun produit animal), des prières et une méditation spécifiques, des confessions publiques, de longs pèlerinages épuisants et beaucoup de corvées pénibles. Le régime n’est pas simplement limité à tous les produits végétaux : certains parmi ces derniers sont exclus, comme les champignons, le miel, le sucre, etc. 5 L’eau également est interdite : Vissarion prétend qu’il ne reste plus d’eau pure sur Terre. Il déclare ne pas boire d’eau, uniquement des jus de fruits fraîchement pressés. Bien sûr, tous ses adeptes, qui vivent dans une extrême pauvreté, ne peuvent se permettre un tel luxe. Vissarion a donc prévu pour eux une solution ingénieuse : un verre de leur propre urine chaque matin au réveil permet de neutraliser tous les méfaits de l’eau pour le reste de la journée.

Evidemment, toute forme de médecine est interdite. Ils pratiquent l' »estétothérapie ». Cela signifie que le malade doit sortir tôt le matin pour apprécier la vue sur la splendide nature sibérienne, et ce sentiment de beauté permettra immédiatement la guérison de ses maladies. Evidemment, ces gens affamés et émaciés souffrent de nombreux problèmes de santé, la plupart d’entre eux étant des citadins absolument pas préparés aux dures conditions de la vie à la campagne.

Nous disposons de documents sur les nombreux décès au sein de la communauté (autant chez les enfants que chez les adultes), qui les imputent tous à une émaciation ou à un manque de soins médicaux. Je suis pourtant convaincu que ce n’est que la partie visible de l’iceberg. Il n’existe aucun registre des naissances dans ce lieu, ni aucun registre du nombre de personnes qui y immigrent. Il est probable que la plupart des décès sont complètement ignorés du monde extérieur. Ce qui est pire encore, c’est que la secte est actuellement en train de se déplacer vers l’intérieur de la Taïga, coupant ainsi tout rapport avec le monde extérieur. La situation ressemble beaucoup à celle de la Guyane où a eu lieu la fin tragique du « Temple du Peuple » de Jim Jones.

La promesse de santé est un outil de recrutement primordial chez les sectes néo-pentecôtistes. Beaucoup sont arrivées en Russie depuis la Suède, par le biais du « Mot de la vie » d’Ulf Ekmans, même si certaines sont arrivées directement des Etats-Unis (missions de Benny Hinn, Kenneth Copeland, Kenneth Hagin, etc.). La « théologie de la prospérité » professée par les Néo-Pentecôtistes, proclame que chaque chrétien doit être riche et en bonne santé. Si ce n’est pas le cas, cela veut dire que l’individu a un sérieux problème. Les promesses de miracles et de guérison instantanée s’étalent sur toutes les affiches annonçant la visite d’un prédicateur ou d’un évangéliste néo-pentecôtiste. Ces promesses permettent d’attirer beaucoup de gens à ces rassemblements. Il est intéressant de noter que depuis deux ans environ, les Néo-Pentecôtistes russes font en sorte que leurs affiches publicitaires ressemblent à s’y tromper à celles de l’Eglise Orthodoxe. Ils utilisent la même présentation et un vocabulaire caractéristique. Quand la population voit une guérison promise par le célèbre ‘prêtre guérisseur’ de la ‘cathédrale du Saint Esprit’ qui prodiguera une « onction à l’huile de Jérusalem » etc… elle pense qu’il ne s’agit pas d’une secte, mais d’une affiche de l’Eglise, qui bénéficie d’une grande confiance auprès des citoyens russes. Elle pense donc qu’elle ne risque rien en se rendant au rassemblement. Beaucoup d’individus se rendent donc au rassemblement, et bientôt, un grand nombre rejoint la secte.

On pourrait parler longtemps des techniques élaborées de manipulation de l’esprit que les Néo-Pentecôtistes utilisent dans leurs rassemblements. Ils utilisent entre autres l’hypnose ericksonienne. Tous leurs prédicateurs en connaissent les ficelles. Elle permet de provoquer chez l’audience une hystérie de masse et un état de transe. Dans un tel état, le cerveau humain produit des doses extrêmes d’endorphine et d’adrénaline qui procurent des états d’euphorie intenses très similaires à ceux ressentis par les toxicomanes.

Il est intéressant de savoir que l’audition scientologique doit être réalisée dans l’état euphorique qui suit les longues heures de transe de la procédure d’audition.

Les participants deviennent rapidement dépendants de l’euphorie induite par l’endorphine et attendent avec impatience de renouveler l’expérience. Evidemment, le cerveau humain ne peut supporter un tel régime vingt quatre heures sur vingt quatre, et la période de sécrétion d’endorphine est suivie de la période dite du syndrome d’abstinence (ou ce que les toxicomanes appellent le « manque ») qui leur rend l’attente d’une nouvelle expérience euphorique de plus en plus pressante. Cette euphorie leur fait croire que toutes les promesses qui leur ont été faites ont été réalisées. C’est la raison précise pour laquelle les scientologues déclarent souvent avec une extrême conviction : « Quoi que vous puissiez en dire je sais avec certitude que la Scientologie fonctionne ! Elle m’a aidé ! Etc.! » Elle ne fonctionne que dans la mesure où ce pauvre homme se retrouve dans un état d’euphorie à la fin de chaque audition. Il pense donc que la scientologie fonctionne et agit en conséquence.

Mais les sectes néo-pentecôtistes sont caractérisées par un élément supplémentaire. Je l’appelle le « syndrome des vêtements de l’empereur nu ». Laissez-moi m’expliquer. D’après leur croyance, chaque mot est doté d’un grand pouvoir. Si une personne dit qu’elle n’a pas été soignée, alors elle reste malade, conformément à ses dires. Ce qu’il faut donc faire, c’est proclamer que la guérison a eu lieu et en remercier Dieu. Si vous le dites avec foi, vos paroles se transforment en réalité. Ainsi, plus le Néo-Pentecôtiste se sent mal, plus grande est la conviction avec laquelle il proclame que la guérison a bien eu lieu. Les paroles de son entourage (qui parle également de sa guérison miraculeuse) le conforteront davantage encore dans sa foi, tout comme ses paroles renforcent la foi de son entourage. C’est pourquoi je l’appelle le « syndrome des vêtements de l’empereur nu ».

Il faut prendre en compte que les guérisons psychosomatiques existent : on estime qu’on peut guérir ainsi jusqu’à 1/3 des malades. Mais il reste les deux autres tiers. Et la foi qu’ils ont en leur guérison est tragique. Je me souviens de l’histoire d’un docteur en médecine qui faisait une étude sur les prétentions de guérison néo-pentecôtistes. Un membre d’une secte lui a déclaré que sa femme avait été guérie d’un cancer. Le médecin, naturellement, lui a demandé s’il pouvait voir sa femme et les résultats de ses examens médicaux. « Non », a-t-il répondu. Pourquoi? « Pourquoi » a demandé le médecin. « Parce qu’elle est morte ! »  » Quand est-elle morte ? » « Environ deux mois après sa guérison ».

Cette anecdote est assez typique. J’ai lu de nombreux témoignages de spécialistes qui n’indiquaient pas un seul cas dans lequel les prédicateurs charismatiques et les faiseurs de miracles (ou bien ici un quelconque fonctionnaire d’une secte) avait réellement réussi à soigner un cas de maladie organique (non psychosomatique).

Il existe pourtant un autre domaine lié à la santé dans lequel les sectes prospèrent. Il s’agit du problème des drogues et de la désintoxication des drogués utilisé par de nombreuses sectes en guise de relation publique, pour donner une image publique acceptable, et, bien sûr, recruter de nouveaux adeptes. On peut ajouter que les sectes facturent généralement des sommes très élevées pour leurs services, et utilisent aussi les personnes qu’elles « réinsèrent » comme esclaves. Mais toutes promettent une guérison miraculeuse avec (en général) plus de 90 % de résultats positifs. Evidemment, certains patients désespérés croient à ces promesses et vendent tous leurs biens pour payer le traitement de leur enfant. Cette spéculation sur les tragédies dont souffrent notre société et nos familles s’avère être très profitable à bien des égards. Elle permet également aux sectes ou organes liés aux sectes de s’introduire dans les écoles, sous couvert de prévenir les enfants des dangers de la dépendance à la drogue. En fait, de telles discussions mènent toujours à un recrutement actif.

L’appât d’une désintoxication est principalement utilisé par les Néo-Pentecôtistes, les Moonies et les Scientologues (c’est ce qu’ils appellent ‘Narconon’). Certaines sectes existent uniquement sous le couvert de centres de désintoxication. Par exemple, 3HO (« Healthy-Happy-Holy Organization ») est implantée à Moscou sous le nom du centre de désintoxication « Kundala« . Cette dernière se vante ouvertement dans ses publicités : « Pourquoi prenez-vous des drogues qui sont nuisibles à votre santé ? Nous vous apprendrons à vivre dans le bonheur le plus complet 24 heures sur 24. Vous vous enverrez bien mieux en l’air à l’aide des techniques que nous allons vous apprendre dans notre programme. Vous ne voudrez même plus prendre de drogues !

Tout est dit. Evidemment, les chiffres annoncés par les sectes (plus de 90 % etc.) sont purement inventés. Les quelques cas dans lesquels les toxicomanes ont vraiment décroché à l’aide de leurs programmes signifient simplement qu’ils sont passés d’un type de dépendance à l’autre. On peut tout autant être dépendant de l’endorphine que de l’héroïne ou du crack. Au lieu de dépenser tout son argent en drogue, le nouvel adepte verse tout ce qu’il a à la secte. Les deux aboutissent à la même chose : la ruine complète.

La Scientologie, en fait, ne laisse pas passer la moindre occasion pour vanter ses bienfaits sur la santé. Dès qu’une catastrophe se produit, des « prêtres volontaires » scientologues sont dépêchés sur les lieux. Ils essaient de se rapprocher des victimes et de leur famille, et tirent profit de leur état de stress pour les recruter, sous couvert d’aide psychologique et médicale. En plus, les informations concernant le prétendu soutien qu’offre la scientologie sont ensuite publiées dans les communiqués de presse de la secte, participant ainsi à promouvoir leurs image de marque, qui permet également de convaincre les nouvelles recrues.

Le lien entre la Scientologie et les psycho cultes est évident, la Scientologie en étant la forme la plus réussie et la plus développée. En fait, il existe de nombreuses connexions entre la plupart d’entre eux. Werner Erhart, d’EST(qui s’appelle aujourd’hui ‘International Landmark Forum) a participé à plusieurs cours de Scientologie. Les fondateurs de Lifespring (et de la branche scindée Avatar) ont été formés au sein de EST, tout comme Bill Ridler, qui a fondé le World Centers of Relationships (également connu sous le nom des « Purple ones »). Nicholas Kozlov, le fondateur du plus grand psycho culte russe appelé « Synton » est d’abord passé par la Scientologie et Lifespring.

Il y a un phénomène dont je n’ai pu parler ici. Il s’agit de l’avancée et de la prolifération de guérisseurs occultes et de sorciers en Russie et dans tous les pays de l’ex-URSS, qui pratiquent leur activité légalement et sans aucune entrave de la part des autorités. Ils font de la publicité partout : dans les journaux et les magazines, sur les panneaux d’affichage dans la rue, à la radio et à la télévision. Ils rédigent souvent leurs annonces sous forme d’articles de presse parlant d’une « femme talentueuse » qui aide les autres par pur altruisme, ou se débrouillent pour passer dans des émissions pseudo scientifiques traitant d’un « miracle naturel », ou parlent encore d’un homme qui peut soigner les maladies alors que les médecins ont abandonné tout espoir.

Je me souviens d’un débat télévisé auquel j’ai participé pendant lequel une invitée a raconté comment elle a été violée par un « extralucide » qui était aussi présent sur le plateau. Evidemment, il n’y avait aucun témoin pour lui permettre de prouver son accusation.

Il existe toujours des guérisseurs extrasensoriels qui parcourent les villes de l’ancienne URSS en promettant une amélioration de l’état de santé. Les plus célèbres d’entre eux, M. Anatoly Kashpirovsky et M. Alan Chumak, apparaissaient de manière quasi-hebdomadaire à la télévision au début des années 1990. M. Kashpirovsky parvenait à mettre des millions de téléspectateurs dans un état de transe, en prétendant ainsi pouvoir les soigner. Bien sûr, pour assurer une guérison complète, ils devaient aussi venir le voir en personne, payer la visite et acheter ses photos, ouvrages etc..6 M. Chumak, lui aussi, utilisait son énergie pour « charger » l’eau, des crèmes et des huiles qui étaient sensées devenir ainsi la panacée de toutes les maladies. Il a également pratiqué cette activité à la télévision, mais si une personne avait besoin d’eau énergétique plus concentrée, il fallait qu’elle la lui achète. Les deux sévissent toujours et sont capables de rassembler des foules dans les villes des provinces russes, ukrainiennes, biélorusses etc.

En 1996, le travail réalisé par notre Centre a été récompensé par ce qui nous a semblé être un résultat merveilleux : Dr. Tsaregorodsev, alors Ministre de la Santé en Russie, avait signé deux décrets : Le premier interdisait la présence dans les structures médicales d’Etat de toutes médecines mystiques, tandis que le deuxième interdisait expressément la présence dans la médecine publique de tous procédés en rapport avec la Scientologie, la dianétique et/ou le nom de L. Ron Hubbard. C’était bien sûr une victoire, mais pas aussi importante que nous ne le pensions. D’abord, le décret n’empêchait pas complètement l’infiltration des sectes dans les structures médicales publiques. De plus, une grande partie de leur pratique est exercée dans leurs propres locaux et elles disposent des moyens nécessaires pour y faire venir les gens. Et, enfin, ce décret n’est pas une loi, ce qui signifie qu’il peut être annulé aussi facilement qu’il a été signé.

De plus, beaucoup de médecins du secteur public ont été recrutés au sein d’organisations de vente pyramidale par cooptation et sont utilisés comme distributeurs de différents compléments bioactifs qui sont tous vantés comme des médicaments miraculeux. Les médecins proposent de manière très insistante à leurs patients d’acheter ce médicament miracle, car rien d’autre ne pourra vraiment les aider. Il s’agit bien sûr d’une violation évidente de l’éthique professionnelle. On peut seulement ajouter que de nombreux médecins finissent par se tourner vers ces méthodes en raison de l’extrême pauvreté dans laquelle ils vivent et de l’extrême pauvreté des institutions médicales qui ne peuvent pas vraiment offrir leur aide aux patients en dehors de quelques remèdes de base.

Il arrive même quelquefois qu’un médecin soit utilisé comme recruteur par un « extralucide » ou un des autres guérisseurs occultes qui utilisent un quelconque procédé pseudo scientifique. Certains de ces escrocs peuvent même avoir bénéficié d’une éducation médicale, voire même être de véritables médecins.

Ceci dit, nous sommes face à un problème très sérieux qui a déjà été formulé par certains croyants orthodoxes : dans quelle mesure devons-nous encourager la législation à promulguer des lois contre le refus de recourir à l’utilisation de produits sanguins à laquelle doivent obéir les Témoins de Jéhovah ? Une telle législation, si la situation venait à changer, pourrait-elle se retourner contre nous ? Demandent-ils. Supposons que d’ici deux ans mon médecin me dise : « Je ne peux rien faire pour vous, mais notre clinique vient d’embaucher un spécialiste merveilleux. c’est un représentant de l’ancienne tradition shamanique et ses méthodes extrasensorielles lui permettent de faire des miracles. Rendez-vous à la salle 66 au 6ème étage, c’est son bureau ». Il est évident que je refuserais au nom de mes convictions religieuses. Se pourrait-il alors qu’un procès soit intenté à l’Eglise Orthodoxe, ou toute autre organisation religieuse traditionnelle dont les membres pourraient adopter la même ligne de conduite ? Bien sûr, au jour d’aujourd’hui, une telle projection reste très hypothétique, mais elle est pourtant révélatrice de la situation dans laquelle nous vivons, et il est sûr qu’elle demeure néanmoins assez logique.

Je n’ai pu mentionner dans ce rapport qu’un petit nombre de sectes par rapport à la quantité de celles qui ont recours comme appât à la médecine traditionnelle ou non pour attirer de nouvelles recrues potentielles. Notre Centre a recueilli des documents sur plus d’une centaine d’entre eux, mais il ne s’agit que d’une goutte dans l’océan. Des milliers de sectes sont implantées dans les pays de l’ex-URSS. Nous faisons de notre mieux pour rétablir la vérité à leur propos. Mais même l’aide dont nous bénéficions de la part de médecins impliqués, de certains fonctionnaires honnêtes ou de journalistes responsables ne suffit pas. Chaque fois que nous parvenons à montrer au public le vrai visage d’une secte ou d’un « extralucide », plusieurs autres voient le jour. C’est comme se battre contre l’hydre polycéphale, chez lequel plusieurs nouvelles têtes apparaissent chaque fois qu’on en a coupé une.

Il y a quelques mois, un de mes amis a dû être hospitalisé en cancérologie. Lorsque je suis allé lui rendre visite, j’ai vu que l’enceinte de l’hôpital était littéralement couverte de toutes sortes de publicités promettant une guérison miraculeuse du cancer. Elles vantaient différentes méthodes : certaines déclaraient que c’était le pouvoir du Saint Esprit qui les aidait à guérir le cancer, d’autres mentionnaient les pouvoirs cachés de la nature, et d’autres enfin parlaient de découvertes scientifiques révolutionnaires.

Mais toutes assuraient que les résultats étaient 100 % garantis. Il est facile d’imaginer que ces promesses trouveront une réponse positive chez les personnes acculées par la maladie et chez leurs proches. Tant qu’il y aura de la demande, toutes sortes d’escrocs et de charlatans tireront parti de cette faiblesse pour servir leurs desseins.

Enfin, pour conclure, il m’est impossible d’offrir une solution définitive aux problèmes que j’ai définis. Une chose est pourtant claire : tant que les pays de l’ex URSS continueront à accorder aux soins médicaux un si petit budget, ce secteur restera un terrain favorable pour les recruteurs des différentes sectes et les charlatans occultes qui tirent parti des problèmes et des tragédies vécues par la population.

Marseille 27/28 mars 2004

Notes:
1 Sf. Norbekov, Mirzakarim. Pyt’ duraka. Moscow, 1999
2 Ivanov P. Istoria Parsheka, Vol.2. Pages 62-243
3 Ivanov, Yu. G. Mertsayuschiy mir. Samara-Orekhovka. p. 5
4 Ibid, p.19.
5 Bien sûr, Vissarion n’est pas soumis à ce régime Les témoins rapportent en l’absence des autres membres qu’il ne se soumet à aucune restriction de nourriture ou de boisson.
6 Pendant les heures auxquelles M. Kashpirovsky était à l’écran le nombre d’appels relatifs à une urgence médicale a quasiment quadruplé !