Esko RIMPI

FINLANDE

Esko RIMPI

– Délégué de Uskontjen Uhrien Tuki (U.U.T.), Finlande

Analyses et développement des articles de la Convention Européenne des Droits de l’Homme relatifs à la Santé et à l’Ethique

Contexte historique, principes et avenir

La convention a été signée en 1950 et faisait référence à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme proclamée par les Nations Unies en 1948. Il s’agit d’un instrument vivant qui a été renforcé par une demi-douzaine de protocoles. Au fil des années, la plupart des membres du Conseil de l’Europe l’ont ratifiée. En plus des pays de l’Union européenne, elle intègre également des pays qui ne font pas partie de cette dernière : les 10 nouveaux membres pour 2004, la Norvège, la Suisse et le reste des pays d’Europe de l’est.

La convention insiste, entre autres, sur le fait que les états membres

« Résolus, en tant que gouvernements d’Etats européens animés d’un même esprit et possédant un patrimoine commun d’idéal et de traditions politiques, de respect de la liberté et de prééminence du droit, à prendre les premières mesures propres à assurer la garantie collective de certains des droits énoncés dans la Déclaration universelle »

ont accepté de protéger les droits et les libertés définis dans la Convention. La « Cour » a été mise en place pour s’assurer que ces engagements soient respectés.

La Cour peut être saisie d’une requête par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou groupe de particuliers qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties contractantes des droits…(Art 34)

La Cour ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes. (Art. 35). L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution (Article 46.2).

La Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne signée à Nice le 7 décembre 2000 lie également l’Union à la Convention du Conseil de l’Europe en réaffirmant les principes dans son préambule, mais en l’adoptant d’une autre manière. Mais c’est une autre histoire.

Articles sur la santé et l’éthique de la Convention

On pourrait citer tous les articles de la Section I Droits et Libertés. Puisque nous nous intéressons à la religion, je parlerai surtout de l’Article 9, Liberté de pensée, de conscience et de religion. Cet article, comme beaucoup d’autres articles de la Convention, est rédigé en des termes assez généraux. On peut donc en dériver toutes sortes d’interprétations.

L’article 18 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme est le principal article à traiter de la liberté de religion. Le libellé de l’Article 9(1) de la Convention est quasiment identique.

Dans la Déclaration Universelle, on trouve une limitation générale dans l’article 29(2) formulée de la manière suivante :

« Dans l’exercice de ses droits et dans la jouissance de ses libertés, chacun n’est soumis qu’aux limitations établies par la loi exclusivement en vue d’assurer la reconnaissance et le respect des droits et libertés d’autrui et afin de satisfaire aux justes exigences de la morale, de l’ordre public et du bien-être général dans une société démocratique« .

Les participants ne croyaient guère à une limitation des manifestations de la croyance. La plupart des états ont rejeté la notion selon laquelle la liberté religieuse devrait être soumise à des limitations spécifiques au lieu d’être soumise au type de limitation générale utilisée pour les autres droits de l’homme.
Cette formule a été incluse dans la plupart des instruments des Nations Unies et dans plusieurs autres traités régionaux. Dans l’Acte Final de la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe de 1975, le troisième paragraphe du chapitre VII reconnaît le droit de l’individu à

« professer et pratiquer, seul ou en commun, une religion ou une conviction en agissant selon les impératifs de sa propre conscience. »

La clause de limitation du projet de la Convention était très semblable à la clause générale de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Elle a pourtant été considérée trop générale et a été rejetée. Après plusieurs tentatives de formulations, l’Article de limitation 9(2) est réputé être toujours de nature assez générale et n’aide guère à résoudre les problèmes liés à la liberté de religion. Le droit d’avoir ou de changer sa religion n’était soumis à aucune restriction. En comparaison avec les autres clauses de limitation de la Convention (par exemple l’Article 10(2) sur la Liberté d’expression), la clause de l’Article 9(2) est l’une des moins permissives.

Il convient ici de remarquer que dans la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne, qui sert de base à la Constitution Européenne qui doit être acceptée cette année, on ne trouve aucune mention spécifique de la clause de limitation telle que mentionnée dans l’Article 9(2). Une partie de cette dernière est reprise dans des termes généraux à l’Article 52 (Portée des droits garantis). J’ai été tellement surpris lorsque j’ai remarqué l’omission de l’article 10 dans cette Charte que j’ai arrêté ma lecture et ai immédiatement contacté la FECRIS par email pour leur demander ce qu’ils en pensaient. Après avoir repris ma lecture, j’ai trouvé une explication beaucoup plus loin dans l’Article 52 et ai fait part de mes observations. Ce que cela signifie dans la pratique est encore une autre histoire.

On a considéré que le droit à l’instruction faisait partie intégrante de la liberté de religion. Le débat relatif au contenu n’a pu être résolu avant la signature de la Convention. Un an et demi après, le PremierUnU Protocole a été rendu public. Il contenait, entre autres, l’Article 2, intitulé Droit à l’Instruction :

« Nul ne peut se voir refuser le droit le droit à l’instruction. L’Etat, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera et dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques. »

Je vais maintenant passer à une analyse détaillée du contenu de l’Article 9 et vous faire part des réflexions qu’il a suscitées.

Définition de la religion ou de la croyance

On ne trouve cette définition dans aucun traité relatif aux droits de l’homme. La Convention a tout bonnement laissé cette tâche à la Cour et à la Commission. L’article 9(1) établit également une distinction entre « pensée et conscience » et « religion et croyance ». Il n’est fait aucune mention du droit de manifester sa « liberté de pensée et de conscience ». La définition du terme de « croyance » a posé des difficultés et est absente dans la première partie de l’Article 9(1).

En ce qui concerne la définition des termes « religion » et « croyance », la Cour et la Commission ont accepté que des mouvements comme l’Eglise de Scientologie et le Pacifisme puissent être protégés en vertu de l’Article 9 sans se soucier des problèmes auxquels ont été confrontées les tribunaux intérieurs (Ann. N° 7805/77).
Le Nazisme doit-il être considéré comme une croyance ou une conviction ? La formulation de l’Article 9(2) a permis d’éviter à la Commission de se prononcer sur cette question et cette dernière a autorisé le gouvernement autrichien à émettre des lois contre le néo-nazisme en jugeant que ces dernières étaient nécessaires dans une société démocratique (Ann. N° 1747/62).

La protection prévue par l’Article 9 de la Convention intègre également les athéistes et les « penseurs libres » : ceci a été la cause de débats relatifs à des « religions » et « croyances » inventées de toutes pièces par les populations carcérales dans le but d’obtenir des privilèges.

Puisqu’il n’existe aucun consensus quant à la définition de « religion ou croyance », les tribunaux ont dû prévoir des instruments internationaux supplémentaires. On s’accorde généralement pour accepter que ce terme comprend les « croyances théistes, non-théistes et athéistes », mais les frontières semblent difficiles à définir. Les tribunaux intérieurs des différents pays ont dû établir des frontières au cas par cas. L’addition du terme « ou croyance » laisse à croire que celles qu’on appelle « nouvelles Religions » sont couvertes par l’Article 9, sans toutefois faire l’objet d’une vraie prise de position qui les reconnaîtrait comme religions.

Toutefois, les types de manifestation définis dans la deuxième partie de l’Article 9(1) suggèrent que le mot « croyance » n’a qu’une portée restreinte, puisque les manifestations protégées ne concernent que les traditions religieuses courantes, à savoir le « culte et l’accomplissement de rites ». Les articles 10 (Liberté d’expression), 11 (Liberté de réunion et d’association), 14 (Interdiction de discrimination) et 8 (Droit au respect de la vie privée et familiale) étendent la liberté à tous autres types d’idées.

Droit à la liberté de…religion…de changer de religion.

Les termes « droit à la liberté de religion …et de changer de religion » dans la première partie ne sont pas limités, et aucune dérogation n’est autorisée, que ce soit à un Etat, un groupe ou une personne physique. L’Article 17 stipule :
« Interdiction de l’abus de droit. Aucune des dispositions de la présente Convention ne peut être interprétée comme impliquant pour un Etat, un groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la présente Convention ou à des limitations plus amples de ces droits et libertés que celles prévues à ladite Convention. »

Le terme ‘liberté » n’est pas non plus défini. Son niveau le plus basique, qui consiste à avoir une opinion sans l’exprimer, est presque impossible à violer. Nous avons cependant connaissance de cas dans lesquels l’intervention est possible en recourant à des techniques invasives d’altération de l’esprit, à savoir le « lavage de cerveau » ou l’endoctrinement systématique. Il n’existe aucune protection protégeant les individus contre une implication forcée et contre leur gré dans des activités religieuses.

L’Article 2 du Premier Protocole a été rédigé dans le but notamment d’éviter le totalitarisme tel qu’il s’est manifesté pendant la Deuxième Guerre Mondiale avec des jeunes qui reçoivent un enseignement dogmatique sans donner aux parents le droit de transmettre leurs propres convictions religieuses. La difficulté ici encore est d’éviter l’endoctrinement interdit.

Liberté… de manifester sa religion ou ses convictions…

Pour prouver une violation de l’Article 9(1), il suffit aux requérants de démontrer l’interférence de fait des éléments relatifs au culte, à l’enseignement ou à l’accomplissement des rites.

Liberté de manifester sa religion ou sa conviction… par la pratique…

Toutes les actions motivées par la religion ou une croyance ne sont pas protégées par l’Article 9(1). Il doit exister un lien direct entre la religion et la pratique. Il n’est pas suffisant qu’elle soit motivée ou influencée par une croyance. Les requérants doivent être capables de démontrer qu’on leur a demandé d’agir d’une certaine manière en raison de leur religion ou de leur croyance. La Commission appelle ce type de condition nécessaire est appelée condition de Harrowsmith par la Commission. Mais dans certains cas, par exemple le prosélytisme, l’application de cette condition est difficile. La Commission et la Cour éprouvent des difficultés à déterminer la frontière entre les exigences d’une religion ou d’une croyance et les interprétations personnelles des requérants issues de leur propre foi.

Ainsi, tandis que la liberté de manifestation de la religion ou de la croyance a donné plus de fil à retordre que la liberté interne de pensée, la portée de ce texte est très limitée et ne fournit qu’une protection moindre aux formes de pratique non traditionnelles. La protection s’étend uniquement aux manifestations analogues aux croyances chrétiennes, en oubliant les minorités dont les pratiques sont moins connues (E 132). Je suis quelque peu gêné par le fait que les décisions qui reposent sur l’Article 9(1) sont bien trop restrictives quant à la liberté de religion ou de croyance et ne favorisent pas assez le pluralisme.

Limitations des manifestations de religion ou de croyance. Article 9 (2)

L’Etat n’est pas tenu de respecter toutes les décisions prises par les individus qui sont déterminés à suivre les règles de leur religion en dépit de la loi ou des conséquences sur leur personne, y compris la torture ou la mort. L’Etat est autorisé à promulguer des lois qui limitent les manifestations de manière à ce qu’elles n’interfèrent pas avec le domaine cité dans l’Article 9(2) :

« La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

D’autres droits sont également limités par des clauses distinctes : l’Article 8 (Droit à la Vie Privée), l’Article 10 (Liberté d’expression) et l’Article 11 (Liberté de réunion et d’association). Leurs structures sont similaires mais pas identiques. C’est l’Article 9, dans lequel seule la manifestation est limitée, qui s’en rapproche le plus. La liberté de religion ou croyance et la liberté d’en changer ne sont soumises à aucune restriction.

Si les questions concernant la religion et la croyance ne sont cependant pas perçues comme un composant essentiel de l’identité personnelle et si l’intervention est perçue comme une attaque à l’autonomie de l’individu, alors il est probable que la liberté de religion ait une très large portée et qu’on ne puisse la limiter sans d’excellentes justifications (32).

Pour pouvoir déterminer si une ingérence peut être justifiée en vertu de l’Article 9 (2), il convient tout d’abord de prouver que le cas rentre dans le cadre du terme non défini de « religion ou croyance » et qu’il y a eu violation de l’article 9(1). Si tous les cas étaient résolus selon ce processus, on pourrait facilement obtenir une idée d’ensemble du type de manifestations protégées par l’Article 9(1).

[Les] restrictions qui, prévues par la loi…

Les individus doivent savoir à l’avance quel type de comportement est prescrit et pour pouvoir être capables de l’ajuster à leur convenance. On se plaint quelquefois du fait que la loi n’est pas assez claire. Dans ces cas, les tribunaux intérieurs appliquent la législation.

Dans la Grèce antique par exemple, la loi contre le prosélytisme, qui visait à interdire l’intrusion dans les croyances d’autrui était tellement vague qu’il était impossible d’interdire légalement le prosélytisme. D’un autre côté, dans les périodes d’intolérance religieuse, les tribunaux ont modifié leur jurisprudence au détriment des minorités. (E 140)

Nécessaires, dans une société démocratique…

Les raisons énumérées dans l’Article 9(2) permettent de prouver que les Etats sont les plus aptes à déterminer si une restriction particulière doit être appliquée à un droit, en laissant une marge d’appréciation. Celle-ci variera d’un moment et d’un endroit à un autre, mais on ne donne pas tous pouvoirs à l’Etat pour décider le moment auquel l’action venant restreindre la liberté religieuse est nécessaire. La Cour conserve son rôle de supervision : elle n’a pas affaibli les lois gouvernementales, mais a critiqué les actions prises en vertu de ces lois, en particulier dans les pays où la protection de l’Eglise nationale est forte. Cette loi et la « proportion » dans laquelle elle était appliquée dans certains cas particuliers ont également soulevé de nombreux débats.

Nécessaires…à la sécurité publique à la protection de l’ordre […] public

Certains groupes religieux peuvent être auteurs de violences ou d’incitations à la violence (il existe des communautés religieuses entre lesquelles règne un climat d’antagonisme et d’intolérance), ce qui peut générer une haine inter-religieuse et des désordres publics. Ceux-ci peuvent s’avérer réellement problématiques dans les Etats où les manifestations de croyances religieuses sont soumises à des restrictions. C’est également le cas du milieu carcéral.

Les justifications relatives à l’ordre public sont également appliquées de manière adéquate dans les lois d’aménagement local. On peut citer en exemple un projet de temple hindouiste dans une ceinture verte à proximité d’un village de relativement petite taille pour lequel on refuserait le permis de construire. Il doit être possible de trouver un quelconque équilibre entre les inconvénients dont souffrent les personnes réveillées chaque matin par l’appel à la prière musulmane chanté au micro et l’atteinte à la liberté religieuse qui résulterait de l’interdiction de tels appels. Ces tensions ne peuvent être facilement apaisées par le biais de relations entre les religions.

Nécessaires…à la protection de la santé

Il existe des traditions religieuses de telle nature que certaines de leurs pratiques peuvent provoquer des blessures physiques chez les participants ou des personnes extérieures. Il est évident que les tierces parties doivent être protégées de tels faits. Tandis que la protection des tierces parties contre les effets physiques préjudiciables de l’exercice de la liberté religieuse des autres pose relativement peu de problèmes, les lois cherchant à protéger les croyants religieux adultes contre le risque encouru par leur propre volont » soulèvent des problèmes plus complexes. Les juridictions domestiques en particulier doivent résoudre des cas très délicats. En effet, elles doivent se prononcer sur la question du refus des traitements médicaux, comme la transfusion sanguine, pour des motifs religieux. Ce type de cas ne se sont pas encore présentés dans le cadre de la Convention, et, si cela arrivait, il est probable que la question se poserait à peine de savoir si l’Etat est autorisé, en vertu de la Convention, à forcer la protection de la santé d’une personne qui, pour des motifs religieux, refuse cette protection. Plusieurs cas ont été soumis à la Commission qui laissent suggérer que l’Etat a le droit de forcer la protection de la santé, même chez les personnes présentant un motif religieux sérieux pour rejeter cette protection (E 156).

Il arrive que des enfants soient mis en danger par les croyances religieuses de leurs parents, par exemple en refusant au nom de l’enfant à un traitement médical tel que les perfusions sanguines, ou en ayant recours à des pratiques religieuses, comme le traitement par la prière, au lieu du traitement médical standard, ou encore en obligeant l’enfant à subir un rituel mutilant, comme l’excision.

De telles situations soulèvent des questions épineuses pour les Etats et les organes des droits de l’Homme. Puisque l’on manque de consensus quant à la manière de gérer de tels cas, et puisque les états qui utilisent leurs pouvoirs pour autoriser les hôpitaux à traiter les mineurs en passant outre l’autorité parentale n’agissent que dans le but de protéger la santé de l’enfant, il est probable que les actions de l’Etat seraient considérées comme faisant partie de la marge d’appréciation. (E 158)

Dans certains pays, il existe des lois domestiques qui permettent aux tribunaux d’ordonner les transfusions sanguines chez les enfants dont la vie est en danger. Les parents ont le droit de devenir eux-mêmes des martyres, mais cela ne peut en aucun cas signifier qu’ils ont le droit, dans des circonstances identiques, de faire aussi des martyres de leurs enfants. Il convient également de mentionner à cet égard que les enfants sont protégés par d’autres lois.

On trouve dans la Déclaration sur l’Intolérance Religieuse et la Discrimination :
« Les pratiques d’une religion ou d’une conviction dans lesquelles un enfant est élevé ne doivent porter préjudice ni à sa santé physique ou mentale ni à son développement complet, compte tenu du paragraphe 3 de l’article premier de la présente Déclaration ».

Nécessaires…à la protection de…la morale

Toutes les religions ne partagent pas la même conception de la morale. La plupart des lois des Etats Membres ont été établies par le passé à partir de croyances religieuses et sont basées sur la morale des religions ou croyances dominantes dans ces Etats. Dans le domaine du mariage, la l’Article 12 de la Convention a accordé le droit aux Etats d’appliquer leurs lois nationales. Les cas faisant appel à d’autres questions morales ont souvent été résolus en se référant à la protection des droits et libertés d’autrui, que nous allons à présent aborder.

Nécessaires…à la protection des droits et libertés d’autrui

Dans les sociétés démocratiques, dans lesquelles plusieurs religions coexistent au sein d’une même population, l’exercice de la liberté de religion ouvre la voie à toutes sortes de conflits potentiels avec les droits et libertés d’autrui, qui doivent être protégés en restreignant les manifestations et en équilibrant les requêtes des parties opposées.

La première partie de l’Article 9(1) est rédigée comme suit : 
« Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion« ,

et la deuxième partie de l’Article 9(2) : 
« restrictions…à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Ceci soulève la question de savoir si la portée de la liberté religieuse en tant que droit positif est identique à la portée de la liberté de religion et de croyance en tant que justification de la restriction des droits. Il semble que le prosélytisme soit un sujet très délicat. De nombreux auteurs et Etats tendent à partir du principe que les individus ont le droit de ne pas être affectés par le prosélytisme dans le cadre du droit à la liberté de religion ou de croyance, comme cela est énoncé dans la première partie de l’Article 9. D’autres ne voient pas qu’il est question d’une violation de leurs droits.

La question principale est peut-être la manière dont le prosélytisme, particulièrement lorsqu’il est simplement oral, peut nuire à la liberté d’autrui. Le fait de présenter ses opinions à un autre adulte libre de manière persuasive dans des contextes autres que religieux est normalement accepté. La pression infligée aux individus en détresse pour qu’ils changent de religion, le recours à la violence ou les techniques de lavage de cerveau doivent être condamnés comme une violation du droit d’autrui.

Les Etats ont un droit d’ingérence sur les manifestations de religion ou de croyance dans le but de protéger les droits et libertés d’autrui. On est cependant face à un paradoxe : une fois une personne convertie, elle n’a plus la volonté ou n’est plus capable de porter plainte auprès des tribunaux en tant que victime de prosélytisme.

Conclusion

Le meilleur moyen d’éviter un conflit entre les pouvoirs étatiques et la conscience individuelle est d’éviter la promulgation de lois dans les domaines dans lesquels il existe une grande probabilité de conflits. Ceci ne signifie pas que des mesures législatives ne doivent pas être prises face à l’intolérable. Il est adéquat d’interdire les activités des religions et les croyances qui sont directement impliquées dans des cas de blessures, de mise en danger de l’Etat ou de la santé publique en vertu de l’Article 9(2). Une telle approche nécessite la mise en place de contraintes législatives et de créativité en la matière pour faire en sorte que la religion ou la croyance ne soient pas négligées par rapport à d’autres objectifs sociaux. Les motifs d’une restriction de la liberté de religion ou de croyance peuvent différer d’une société à l’autre, ainsi que dans le temps (E 192). Il semble que la Convention et l’auteur (Mme Evans) ne comprennent pas toujours que la religion a des aspects destructeurs, qu’ils soient publiés dans les « livres saints » ou dissimulés dans la pratique quotidienne.

Toutes les religions ou croyances ont leurs « côtés sombres », qui peuvent être mis en évidence au moins par les personnes extérieures. Il est presque impossible de changer les « livres saints », même s’ils contiennent des règlements contraires aux droits de l’homme ! On invente constamment de nouvelles religions et de nouvelles croyances et toutes promettent à leurs « croyants » la « liberté de pensée, de conscience et de religion ». Cette législation a été rédigée il y a 50 ans à la fin de la Deuxième Guerre Mondiale dans le but de garantir les libertés des principales religions. Nous devons aujourd’hui analyser les tendances et rédiger des lois qui restreignent les effets nocifs des religions et croyances. Il est nécessaire de rédiger des lois qui, même si elles violent la conscience de certains individus, ne doivent pas autoriser la moindre exemption lorsque des éléments importants de l’Article 9(2) sont mis en cause. La clause de restriction 9(2) de la Convention démontre que les droits individuels ne peuvent pas toujours prendre le pas sur des objectifs sociaux plus importants.

La législation ne peut modifier le contenu des religions ou des croyances, mais par exemple, dans le cas du christianisme, certains prêtres de mon pays (la Finlande) ont déjà commencé à expliquer en public que certaines parties de la Bible doivent simplement être comprises comme des paraboles. Dans beaucoup d’autres religions, cette forme de critique n’est pas du tout autorisée, pour l’instant.
Dans le domaine médical, on poursuit de nombreuses études avant d’autoriser un médicament sur le marché. Les docteurs et infirmières qui délivrent des prescriptions ont suivi de longues études. Les expériences de tous sont partagées par le biais d’institutions et de forums, ce qui permet de modifier, si nécessaire, la formule du médicament ou du processus utilisé. Les produits et les tâches réalisées par le personnel sont soumis à la critique. Il existe plusieurs commissions de supervision. L' »effet thalidomide » peut être évité de manière précoce.

Quant à la question de l’aspect le plus délicat d’un être humain, sa vie émotionnelle, il n’existe aucune règle permettant de régir la personne à traiter ni la manière dont elle doit l’être. Il est grand temps d’oser critiquer les côtés noirs de toutes les religions, indépendamment les unes des autres, et d’arrêter de toujours ressortir la même vieille phrase : « la religion est un droit fondamental ». Il est nécessaire d’obtenir des informations suffisantes sur chaque « produit religieux », en tant qu’acte de protection consumériste. C’est le seul moyen pour pouvoir rédiger des lois qui restreignent véritablement les aspects nocifs des religions et des croyances. La liberté de débattre des questions religieuses permet d’assurer le maintien de la liberté de religion. Il existe une incroyable diversité de croyances religieuses, face auxquelles il est plus difficile de prouver la vérité de sa propre religion (28). Evans déclare dans son ouvrage que l’une des raisons pour lesquelles la Cour et la Commission n’ont pas réussi à développer une jurisprudence adéquate sur la question de la liberté de religion, est qu’elles n’ont pas pris au sérieux l’importance de la compréhension des fondements de la liberté religieuse. (32)

Post-scriptum

Alors que je rédigeais ce document, j’ai lu dans les journaux les derniers événements relatifs à l’interdiction du port de foulards, de kipas et de croix dans les écoles publiques en France. Si ce cas devait être soumis à la Cour, je pense que les éléments suivants seraient enfin pris en compte :

Le requérant devra prouver la violation de l’Article 9(1).

La pratique de sa religion exige-t-elle de lui/d’elle qu’il/elle porte le foulard/kipa/croix et est-il interdit de l’ôter et dans quelles situations ?

L’Etat français, qui est séculaire, a-t-il le droit de restreindre de telles manifestations en vertu de l’Article 9(2) ?

L’objectif d’une telle législation est-il légitime, neutre et proportionné ?

D’une certaine manière, cette question constitue l’un des faits mineurs sur lesquels les tribunaux des différents pays doivent se prononcer. La jurisprudence relative aux lois nécessaires à la protection de la santé est très limitée. Les actualités des jours prochains permettront certainement de prouver que les législateurs ont encore beaucoup à faire pour comprendre la problématique sanitaire souvent dissimulée.

Comment donner aux individus la connaissance de ces questions est encore un autre problème.

( E xx ) Carolyn Evans : Freedom of Religion under the European Convention on Human Rights

Si les questions relatives à la religion et aux croyances sont, cependant, perçues comme un composant essentiel de l’identité du moi et si l’ingérence à leur égard est vue comme une attaque à l’autonomie de l’individu, alors il est probable que la liberté religieuse aura une grande portée et que des justifications sérieuses seront nécessaires pour pouvoir la restreindre.

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Annexe

Brice TIXIER – France
Avocat,
Membre de la Commission « Santé, Ethique, Idéologies » de l’Espace éthique méditerranéen

Quelques illustrations jurisprudentielles complémentaires

Le droit de manifester :

La manifestation peut être exercée individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par les cultes, l’enseignement, la pratique et l’accomplissement des rites. La Cour l’a souligné, la liberté comporte en principe le droit de convaincre son prochain, par exemple au moyen d’un enseignement, sans quoi la liberté de changer de religion ou de conviction risquerait de demeurer lettre morte.

~ Portée de la manifestation :

La propagande pour le soi-disant E-meter, un objet allégué comme religieux par l’Eglise de scientologie, n’a pas été acceptée comme manifestation dans le sens de l’article 9 § 1 par la Commission. Au contraire, elle présentait une propagande pour le commerce qui pouvait être interdite. La décision n’est pas sans présenter de difficultés puisque la vente d’objets religieux est reconnue dans d’autres circonstances.

Les limites posées par l’article 9~2 :

La restriction qui est évoquée ne vise que « la liberté de manifester sa religion ou ses convictions » (arrêt Kokkinakis du 25 mai 1993).

Que faut-il entendre par « manifester sa religion ou ses convictions » ?

En effet, la manifestation peut prendre la forme du culte, de l’accomplissement des rites, de l’enseignement mais aussi des pratiques. Or il n’y a pas de définition juridique de la religion. Au nom de la protection des libertés et droits d’autrui, la Cour a admis que l’Etat réprime le prosélytisme abusif. Cependant, elle reconnaît également le droit d’essayer de convaincre son prochain. Il lui faut donc trouver un critère départageant le témoignage légitime du prosélytisme condamnable. Or, la Cour n’a pas défini précisément cette distinction laissant de ce fait une certaine marge d’appréciation aux Etats. Elle impose cependant aux lois nationales de définir les actes permettant de constater l’acte de prosélytisme.

Illustration jurisprudentielle – CEDH, MANOUSSAKIS ET AUTRES, 26 septembre 1996

L’énoncé de ces principes posés par la Convention pouvant paraître abstrait, il semble judicieux de voir une illustration jurisprudentielle de ceux-ci, à travers un cas nous intéressant spécifiquement : l’affaire Manoussakis et autres c. Grèce mettant en cause des témoins de Jéhovah qui avaient été condamné par la justice grecque pour avoir créé et desservi une maison de prière sans autorisation du ministre de l’éducation nationale et des cultes.

Analyse de la Cour :

La Cour constate que la condamnation des intéressés pour s’être servis de la salle qu’ils avaient louée sans l’autorisation préalable prévue par la loi s’analyse en une ingérence dans l’exercice de leur droit à la « liberté de manifester leur religion par le culte et l’accomplissement des rites ». La Cour relève que la confession des témoins de Jéhovah remplit, dans l’ordre juridique grec, les conditions d’une « religion connue ».
En l’espèce, la mesure poursuivait un but légitime : la protection de l’ordre.

Cependant, selon la Cour, la condamnation affecte si directement la liberté religieuse des requérants qu’elle ne peut passer pour proportionnée au but légitime poursuivi ni, partant, nécessaire dans une société démocratique. Il y a donc violation de l’article 9 de la CEDH.

Marseille, 27/28 mars 2004