Daniel GRUNWALD

FRANCE

Daniel GRUNWALD

– Médecin, Secrétaire Général Emérite du Conseil National de l’Ordre des Médecins.
– Membre du Conseil d’orientation de la Mission Interministérielle de Vigilance et de Lutte contre les Dérives Sectaires (MIVILUDES) organisme gouvernemental français

L’Ordre des Médecins face aux Mouvements sectaires
et à leurs relations avec les pratiques médicales non éprouvées

Faits de société, manifestations inquiétantes des incertitudes de notre monde moderne, les phénomènes sectaires infiltrent les différents rouages de notre vie sociale.

Le monde médical n’en est pas épargné, bien au contraire :

  • L’utilisation de plus en plus répandue par des mouvements sectaires de thèmes de « Santé » et de différents procédés thérapeutiques.
  • Leurs publicités, diffusions, voire banalisation au sein des médias,
  • Leur propagation dans les milieux même de la santé, déstabilisant certains médecins, et d’autres professionnels de la santé,

soulèvent de nombreuses interrogations.

En France, l’Ordre des Médecins, organisme privé composé de praticiens élus par l’ensemble de leurs confrères, est chargé par l’Etat d’une mission de service publique avec des fonctions administratives et juridictionnelles concernant les médecins en exercice.

C’est pourquoi, depuis plusieurs années, l’Ordre des Médecins Français a été amené à se pencher sur les rapports complexes existant entre les sectes et les Pratiques Médicales.

Différentes évolutions constatées au fil des ans dans les activités de mouvements sectaires nous ont amenés de plus en plus à intégrer ces réflexions dans le cadre beaucoup plus général des imbrications de plus en plus complexes existant entre « dérives sectaires » et prise en charge de la « Santé » dans le sens le plus large du terme.

Notre propos sera ainsi dans un 1er temps d’insister sur les évolutions observées dans les faits traduisant des pratiques sectaires nocives en matière de santé, avant d’aborder dans un 2ème temps les positions prises par l’Ordre des Médecins à ce sujet.

LES FAITS OBSERVES.

  1. UNE EXTENSION DES DERIVES SECTAIRES DANS LE CHAMP DE LA SANTE.

    Les constatations faites au fil les années permettent nettement de relever différentes évolutions dans les dérives sectaires nocives en matière de santé.

      • Une diversification des activités sectaires

        Les approches des phénomènes sectaires ont bénéficié en France de différentes recherches, de plusieurs rapports parlementaires de la création d’un observatoire puis d’une Mission Inter Ministérielle de Lutte contre les Sectes, et plus récemment de la mise en place d’une « Mission Interministérielle de Vigilance et de Lutte contre les Dérives sectaires » (novembre 2002).

        • L’on connaît les difficultés de définition et de repérage des dérives sectaires ; l’important en ce qui nous concerne étant de déceler et de souligner dans des structures à base idéologique exclusive, les faits traduisant leur nocivité pour la personne avec atteinte à son intégrité physique et psychique ; approche « comportementale » centrée sur la mise en évidence de dommages caractérisant les « dérives sectaires nocives ».
        • Les thèmes de santé ont toujours été inclus dans de très nombreuses familles de sectes, amenant à isoler des sectes guérisseuses, des mouvements psychanalytiques, dont les activités sont souventdéployées au travers de « sociétés écran » voire de centres de traitement de présentation apparemment sans problème.
        • Les tendances évolutives générales observées sur le plan de la prise en charge de la santé, dans des structures à caractères sectaires nocif peuvent être regroupés autour de différents thèmes :
          • Fort développement d’activités sectaires basées sur des prises en charge  dites «  psychothérapiques ».
          • Multiplication d’activités basées sur des techniques issues de conceptions « orientalistes » transformées.
          • Développement de « prises en charge » centrées sur des thèmes irrationnels de développement et de valorisation de l’individu.
          • Infiltration par des sociétés écran d’organismes et d’actions de formation professionnelle pouvant toucher des professionnels de santé,
          • Infiltrations sectaires parfois constatées au sein de mouvements humanitaires tout comme dans certaines associations d’aide aux malades où dans les secours apportés aux victimes de catastrophe.

    Ces différents exemples montrent bien que les sectes cherchent à agir sur tous les terrains de la prise en charge de la santé.

    Ils illustrent également une thématique beaucoup plus générale d’évolution des activités à caractère sectaire dans le domaine de la santé :

        • Si certaines de ces activités se concentrent toujours sur la prise en charge des maladies et des troubles estimés pathologiques,
        • beaucoup d’autres, et de plus en plus, développent des thèmes plus larges non seulement de maintien, mais d’épanouissement, de la santé, du bien-être, des facultés physiques et mentales, de la puissance personnelle au travers d’idéologies ésotériques, pseudo- cosmologiques pseudo-religieuses

    Et ainsi de plus en plus nettement de telles extensions des dérives sectaires en matière de santé se font en complexifiant volontairement les concepts mêmes de «  santé » et de « maladie », en modifiant aux yeux de leurs adeptes les rapports de la personne à « sa santé » et à la « maladie ».

    Cela sans oublier également les fortes composantes internationales des sectes justifiant de plus en plus une collaboration des différents pays concernés aux problèmes du sectarisme.

    • Une évolution des structures sectaires :
      • les activités des grands groupes sectaires « classiques » à dimension nationale et internationale persistent, voire pour certains tendent à se radicaliser.
      • S’y adjoignent de plus en plus des groupes associatifs réduits, autour d’un « accompagnateur thérapeute gour », agissant parfois isolément (mais souvent après une « formation » onéreuse dispensée par une structure centrale).

      Et c’est ainsi que beaucoup distinguent actuellement, dans les phénomènes sectaires, les sectes absolues « classiques » et le sectarisme de différents groupes, voire groupuscules, plus diffus, de plus en plus souvent observé, d’approche également plus difficile.
      Sur le plan des rapports avec la santé et avec les pratiques médicales, cette distinction est également commode, car elle permet de mieux cerner l’extrême variabilité des questions soulevées par les mouvements sectaires et plus encore de souligner que l’on doit bien entendu éviter tout amalgame : chaque mouvement sectaire est différent des autres, et amène à poser des interrogations spécifiques. Et c’est ainsi que si beaucoup de mouvements sectaires, cherchent, pour étendre leur emprise, à utiliser les Médecines et parfois les professionnels de santé, ces intrusions seront très variables, en fonction des objectifs qui les sous-tendent.

  2. L’UTILISATION DES « MEDECINES ».

    Deux tendances caractérisent les relations entre les pratiques des sectes et la médecine : d’une part, critiques et opposition vis à vis de la médecine « moderne, officielle » , notamment de la part de mouvements sectaires à objectif « thérapeutique » s’inscrivant dans une relation de concurrence avec la médecine « occidentale » ; d’autre part, mais parfois conjointement, utilisation de procédés et thérapeutiques présentés sous l’apparence et le label de « médecine » , « non officielle » d’origine traditionnelle ou mystique, issue de cultures anciennes ou à base ésotérique…

    Et nous retrouvons là en fait, le cadre général de beaucoup de médecines dites « douces parallèles, alternatives, complémentaires, non conventionnelles » que nous préférons quant à nous dénommer « pratiques médicales non éprouvées » . En effet, le dénominateur commun de toutes ces pratiques, est leur absence de validation scientifique authentique et reconnue, et leur absence d’évaluation. Le champ de ces « pratiques médicales non éprouvées » est lui même très vaste et protéiforme ; allant de médecines ayant acquis droit de cité, à des pratiques ponctuelles totalement irrationnels et ésotériques. Les « médecines » sous-tendues par des idéologies sectaires s’appuient plus volontiers sur ces dernières catégories extrêmes de théories thérapeutiques ésotériques, mais elles peuvent aussi parfois correspondre , à des activités basées sur des concepts scientifiques modifiés, ou à des thérapeutiques éprouvées transformées et adaptées (exemple des multiples dérives de la diététique ) .

    La compréhension de telles imbrications entre activités sectaires et médecines « non éprouvées » n’est pas simple car des similitudes de forme, de présentation, ne doivent pas occulter les différences de fond, notamment de finalité :

    Schématiquement (et historiquement), «  médecines  non éprouvées » et pratiques sectaires apparaissent en effet différentes :

    • Les médecines non conventionnelles visent uniquement à traiter des maladies ou troubles estimés pathologiques ; elles sont réalisées par des « thérapeutes » sans autre but annoncé ;
    • s’opposant aux sectes nocives concernant des personnes ne s’estimant pas forcément malades, mais en mal d’écoute, demandant «   attention », et à qui sont imposées, une idéologie rapidement coercitive, avec rupture du lien social, dans le cadre d’un groupe hiérarchisé autour d’un gourou, prônant plus que la santé l’épanouissement et le bien-être, ou des finalités pseudo religieuses ou pseudo cosmologiques.

    Mais la réalité est en fait beaucoup plus nuancée , puisque l’on rencontre des sectes se présentant uniquement sous le masque de « médecines » utilisant le capital de confiance qu’y attache inconsciemment tout un chacun  avec des formes nouvelles de sectarisme de groupes très limités ; cela rejoignant la tendance de certains thérapeutes de médecines non éprouvées à former des groupes de patients , recherchant non seulement le traitement de maladies, mais le retour ou le maintien de la santé et du bien-être ! … 
    Tous les intermédiaires existent ainsi actuellement.
    Ces différents faits amènent à penser au plan pratique, que la distinction entre médecines non éprouvées et pratiques de sectes doit évidemment être maintenue dans nos analyses , évitant tout amalgame, en cherchant à préciser dans chaque situation concrète avant tout la nature et le degré éventuel d’une pratique « nocive » pour des personnes-patients ; mais l’on doit aussi savoir penser que derrière certaines « médecines » atypiques, peuvent se cacher des volontés sectaires nocives . 
    Toutes les médecines non éprouvées ne sont bien entendu pas à rapporter à des sectes, mais les mouvements sectaires se présentent volontiers sous l’apparence de « médecines ». 
    L’on peut d’ailleurs remarquer que ce seront souvent les mêmes types de patients, voire les mêmes sensibilités de professionnels de santé, qui seront tentés par des médecines ésotériques et des groupes sectaires… sans occulter des actes de charlatanisme et des appétits financiers parfois très comparables de la part de ces « soignants ».

  3. LES ACTEURS DES DERIVES SECTAIRES EN MATIERE DE SANTE.

    Sectes protéiformes, utilisation de «  médecines », cela amène à envisager un troisième aspect des réalités observées : les participants, y compris du monde de la santé, à de telles activités à caractère sectaire. C’est ce qui justifie l’intrusion de l’Ordre des Médecins en ce domaine.

    • Les acteurs majoritaires, responsables des activités « thérapeutiques » de nombreux groupes sectaires, demeurent essentiellement des « prosélytes inspirés » auto-certifiés et auto-proclamés. Leurs pratiques peuvent dans certains cas correspondre à un exercice illégal de la médecine, (en cas de démarche diagnostique précédant la thérapeutique appliquée).
      L’utilisation par ces prosélytes de titres revendiqués correspondant à des usurpations d’intitulés professionnels authentiques ou plus encore à la création et à l’utilisation d’appellations sans fondement autre que leur synonymie avec des fonctions de soins correspondent en elles-mêmes à une tromperie des personnes leur accordant leur confiance.
    • Les médecins et autres professionnels de santé :

      Des médecins ont été accusés, au travers de quelques affaires retentissantes autant que regrettables, de participer, parfois activement dans certains cas, aux activités de mouvements sectaires. Sujet difficile, car à côté d’affaires précises, documentées puis sanctionnées, existent beaucoup de faits avancés, de rumeurs, entourés d’une atmosphère passionnelle gênant leur analyse objective ; étant bien sûr entendu qu’il n’est nullement question de s’intéresser à la liberté d’opinion et de croyance garantie à tout citoyen, y compris médecin, mais de viser uniquement les interférences éventuelles, nocives pour les patients, entre les pratiques d’un médecin, et des activités sectaires répréhensibles.
      Ainsi des praticiens, de personnalité parfois fragile, affectés par une certaine impuissance ressentie, face à la misère et à la mort, pourront-ils être séduits par la convivialité d’un groupe « de réflexion » avant d’être racolés par une secte … et l’on sait combien certains mouvements sectaires recherchent la participation (et la caution) de médecins. 
      Malheureusement, dans certains cas, le médecin, séduit, deviendra actif, utilisant l’aura de sa qualité pour attirer de nouveaux adeptes dans la secte : médecin sympathisant, puis racoleur auprès de ses patients, médecins consultant de certains groupes sectaires confirmant le bien-fondé des « traitements » ésotériques proposés. De tels faits ne sont heureusement pas très fréquents, mais des exemples démonstratifs en ont été prouvés. Par ailleurs, et il faut y insister, de nombreux médecins, par manque d’information ( et d’esprit critique ), se laissent abuser par des publicités de traitements pseudo-scientifiques diffusés par des sectes, dont ils risquent de devenir des adeptes , sans le savoir,… tout au moins au début . Car la prolongation de telles pratiques, tout comme les actes de « racolage » sectaire par des médecins, impliquent généralement une participation active de leur part, soit dans le cadre de mouvements « guérisseurs », soit à titre individuel.

      Dans de telles situations, les modalités précises d’activités des praticiens dans leurs prescriptions, leurs justifications, seront à apprécier. Ainsi dans l’utilisation de certains médecines non éprouvées, sans sectarisme confirmé, l’on devra s’attacher à leur mode d’utilisation : prescrites en remplacement d’un traitement éprouvé conforme aux données acquises de la science, où dans un but purement charlatanesque, en créant parfois de véritables pathologies imaginaires, elles sont hautement répréhensibles ; situations différentes d’éventuelles utilisations circonspectes de ces médecines non conventionnelles, non systématiques, sans dangerosité, à titre complémentaire de traitements éprouvés dans des cas particuliers, après information circonstanciée des patients et sans autre but que leur prise en charge la plus adaptée possible, y compris dans la recherche d’un effet placebo. Par contre, l’adjonction à ces prescriptions d’actes ou d’attitudes correspondant à une dérive sectaire orientera évidemment vers la possibilité de prises en charge anormales nocives pour les patients qui les reçoivent, donc blâmables.

      Ces réflexions concernent particulièrement les médecins, du fait de leurs fonctions de prescripteurs et de leurs responsabilités particulières. Mais les tentations et racolages sectaires concernent en fait l’ensemble desprofessionnels de santé : dentistes ; également professions para- médicales, parfois plus vulnérables à des argumentations irrationnelles. (situations de certains kinésithérapeutes, sage-femmes, infirmières ; également travailleurs sociaux…) Ces professions peuvent également être plus facilement concernées par des formations infiltrées par des idéologies sectaires. Citons les problèmes actuels posés par certains mouvements développant des formations à connotation sectaire autour des grossesses et de la naissance.

    • Les patients.

      Eventuels adeptes, plus ou moins consentants, ils méritent attention avec quelques points à relever face à une réalité complexe, d’ordre sociologique :

      • Certains profils psychologiques ou situations de vie, rendent plus vulnérables à une publicité ou à un racolage sectaire, tout comme certaines circonstances pathologiques ; ce qu’un praticien averti a éventuellement à aborder avec ses patients. A l’opposé, la prise en charge de personnes-patients « sortis de sectes » est souvent difficile, nécessitant avis et parfois prises en charges spécialisées.
      • L’entourage des malades est souvent concerné ; témoin (impuissant ou révolté) des ravages faits par une secte sur leur parent ; entourage parfois aussi sollicité par certains groupements.
      • Mais les patients (parfois aussi leurs familles !) peuvent également être demandeurs de traitements « miracles »  dont ils auront eu connaissance par publicité ou par « bouche à oreilles » !
      • Autant de situations compliquant la relation médecins-patients nécessitant informations explicites, répétées de la part des médecins de famille ; sachant que de plus, certaines orientations ou croyances des malades ou de leur famille peuvent même soulever des problèmes aigus. Evoquons à ce propos le questionnement très spécifique suscité par certains patients, majeurs, refusant toute transfusion de produits sanguins même devant des indications impératives mettant en jeu leur pronostic vital à court terme.

ATTITUDES DE L’ORDRE DES MEDECINS.

Même limité aux rapports entre activités à caractère sectaire et prise en charge de la santé, le champ de réflexion est donc très vaste, complexe, source de multiples interrogations et de nombreuses difficultés pratiques.

« Reconnaître-Comprendre-Agir » résume l’attitude d’un ordre professionnel amené à se prononcer sur des faits de pratiques de soins déviées par des influences sectaires.

    1. ANALYSE DES SITUATIONS RENCONTREES.

Analyser les mouvements sectaires, leurs évolutions, leurs rapports de plus en plus complexes avec la santé et le cas échéant avec des pratiques médicales, est fondamental, à partir des informations ou plaintes reçues de patients, de leurs familles, ou d’organismes divers, publics, associatifs, confrontés à la lutte contre les mouvements sectaires nocifs.

Cette démarche doit prendre la mesure des difficultés existantes pour les surmonter : polymorphisme et variabilité dans le temps des mouvements à caractère sectaire, atmosphère émotionnelle entourant souvent les informations fournies par les victimes ou leurs familles, nécessité de ne raisonner que sur des faits suffisamment étayés ; de même que de bien établir la distinction entre activités médicales et opinions du médecin, ce qui n’est pas toujours simple. Car dans certains cas l’utilisation du titre de « médecin » peut cautionner des activités répréhensibles et même dans ses prises de position personnelles, un médecin reste un « médecin » vis à vis des tiers

Une appréciation de la validité de certaines pratiques et prescriptions médicales peut, nous l’avons vu, s’avérer également difficile, et l’on aura là à se placer sous l’angle des patients : ont-ils bénéficié de la part de leur médecin de la prise en charge nécessitée et justifiée par leur état ? y-a-t-il eu tromperie ? pratique charlatanesque ? peut-on incriminer des attitudes ou prescriptions nocives, dangereuses ? ; cela concerne le comportement de praticiens vis à vis de leurs patients, anormalement modifié en cas de main-mise sectaire, ainsi que l’utilisation qu’ils peuvent faire à cette occasion, de certaines pratiques médicales non éprouvées.

  1. APPROCHES JURIDICTIONNELLES.

    Elles peuvent se situer à plusieurs niveaux :

    • Le problème des activités condamnables des sectes concerne en France essentiellement le pouvoir judiciaire, pénal et civil. ayant à connaître des affaires les plus graves.
    • La juridiction professionnelle de l’Ordre des Médecins n’est appelée à intervenir que dans les cas où sont mises en cause des pratiques de médecins non conformes au Code de Déontologie médicale. De nombreux articles de ce code peuvent être selon les cas concernés. Le médecin doit en effet en toutes circonstances respecter les principes de moralité, de probité, de dévouement indispensables à l’exercice de la médecine ; le médecin ne devant jamais se départir d’une attitude correcte, attentive, donc respectueuse envers la personne examinée ; dispositions rejoignant d’ailleurs celles de l’article 3 des principes d’Ethique Médicale Européenne (édictés par le Comité Permanent des Médecins européens) qui nous apparaissent très appropriées ici : «  le médecin s’interdit d’imposer au patient ses opinions personnelles, philosophiques , morales ou politiques dans l’exercice de sa profession » ; l’art. 5 du code français de déontologie médicale stipulant que le médecin «  ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit ».
      En pratique, les décisions rendues par les chambres disciplinaires de l’Ordre des Médecins concernent très souvent le non respect de l’art. 39 du code de déontologie : «  les médecins ne peuvent proposés aux malades ou à leur entourage comme salutaire ou sans danger un remède ou un procédé illusoire ou insuffisamment éprouvé .Toute pratique de charlatanisme est interdite » ; ainsi que l’art. 40, caractérisant les thérapeutiques dangereuses : «  le médecin doit s’interdire dans les investigations et interventions qu’il pratique comme dans les thérapeutiques qu’il prescrit de faire courir au patient un risque injustifié ».
      Mais, d’autrefois peuvent être concernés : la complicité d’un médecin à un exercice illégal de la médecine ; une immixtion dans les affaires de famille ; le non-respect des dispositions assurant la protection des mineurs, ainsi que de toute personne «  qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique… », où le médecin doit « sauf circonstances particulières … alerter les autorités judiciaires, médicales ou administratives », situations spécifiquement prévues dans le code de déontologie médicale français, complétant les dispositions du Code Pénal.
    • La saisine des juridictions professionnelles ne peut concerner que des faits étayés estimés contraires au code de déontologie, susceptibles d’avoir été préjudiciables aux patients.
    • L’analyse des plaintes soumises aux juridictions ordinales concernant des pratiques médicales nocives inspirées par des dérives sectaires fait ressortir deux ordres de faits :
      • les plaintes sont peu fréquentes ; elles émanent rarement des victimes elles-mêmes, et beaucoup plus souvent d’informations apportées par leur entourage (qui, si elles sont prouvées peuvent permettre une mise en cause de praticiens directement par l’Ordre des Médecins).
      • elles sont généralement peu spécifiques mais souvent préoccupantes. du fait d’une relative systématisation des pratiques délictueuses argumentée par l’idéologie du mouvement sectaire correspondant. De tels faits, confirmés, font ainsi l’objet de sanctions disciplinaires avec le plus souvent interdiction temporaire ou définitive d’exercice
    • Ces situations sont tout à fait comparables en ce qui concerne les autres professions de santé dotées de juridictions professionnelles spécifiques (dentistes, sage-femmes, pharmaciens, kinésithérapeutes).
  2. INFORMATIONS DES PROFESSIONNELS DE SANTE.

    Ces considérations expliquent l’importance que nous attachons à l’information des médecins (tout comme les autres professionnels du monde de la santé) sur les réalités sectaires et les risques de dérives qu’elles entraînent :

    • Informations générales sous forme d’articles insérés dans le bulletin de l’Ordre National des Médecins, adressé à l’ensemble des praticiens en exercice.
    • Informations ciblées à propos de cas particuliers ; notamment à l’occasion de faits rapportés sans preuve, ou de « rumeurs » justifiant enquêtes, permettant mises au point et si utile mises en garde de praticiens, dont les effets préventifs sont souvent très positifs.

    Sur un plan général, parler de l’existence des réalités sectaires, de leurs relations avec certaines publicités de méthodes de soins non validées, s’avère incontestablement bénéfique, et l’on observe que les médecins sont maintenant beaucoup mieux informés des risques liés à l’intrusion des pratiques sectaires dans les prises en charge de la santé.

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  4. PARTICIPATION AUX ACTIONS ENTREPRISES PAR LES POUVOIRS PUBLICS.
    • Dans le cadre de ses missions, l’Ordre des Médecins est appelé régulièrement à répondre aux avis qui lui sont demandées par le ministère de la Santé. Il est représenté au sein des comités d’orientation des missions interministérielles consacrées aux phénomènes sectaires : «  Mission interministérielle de lutte contre les sectes », puis, depuis sa mise en place début 2003 : «  Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires » (MIVILUDES). Ces organismes réunissent des représentants des différentes administrations, associations, et structures concernées, ce qui en fait tout l’intérêt.
    • Le parlement français a voté, le 12/06/2001, une loi « tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales ». Ce texte pouvant entre autres, s’appliquer à des dérives sectaires dans le domaine de la santé, prévoit, entre autres dans son libellé : «  la dissolution de toute personne morale …qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer …la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités… » ( art.1 ) ; l’extension de la responsabilité pénale des personnes morales à certaines infractions (chapII) ; des mesures limitant la publicité des mouvements sectaires (chap IV) ; et plus particulièrement, en ce qui nous concerne, au chapitre V, des dispositions relatives à l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de faiblesse , « soit d’un mineur, soit d’une personne dont la particulière vulnérabilité due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse est apparente et connue de son auteur, soit d’une personne en état de sujétion psychologique ou physique, résultant de l’exercice de pressions graves ou répétées, ou de techniques propres à altérer son jugement , pour conduire ce mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention, qui lui sont gravement préjudiciables ».
    • Dans son rapport annuel 2003, récemment publié, la MIVILUDES après avoir approfondi le concept de «dérive sectaire», a présenté différentes propositions, comportant entre autres, en ce qui concerne la santé :
      • le souhait que puissent être effectivement (et plus aisément) pris en compte la situation des victimes d’abus de faiblesse et de sujétion psychologique ou physique ;
      • une proposition pour que la direction générale de la santé et les ordres des professions de santé fassent connaître au public des recommandations sur les bonnes pratiques de soins ;
      • une diffusion élargie des dispositifs réglementaires en matière de vaccinations obligatoires, de même qu’une information concernant les refus de transfusion sanguine.
  5. LES QUESTIONNEMENTS PARTICULIERS.

    Un certain nombre de problèmes spécifiques restent posés dans le vaste domaine des relations entre la santé et les entreprises sectaires.

    • Les intitulés des professions de santé : En ce qui concerne les différentes « professions de santé », force est de reconnaître qu’autour des professions dont les titres et appellations sont définies, réglementées, ne permettant leur utilisation qu’à des professionnels ayant apporté la preuve de la qualité reconnue de leur formation et de leurs titres, existe une nébuleuse de « professionnels », dont les qualifications et domaines de compétence, vont de situations parfaitement honorables, reconnues et utiles, à des intitulés sans garantie, source, pour les personnes les consultant de confusions et de fausse garantie, souvent volontairement entretenues au sein de structures à caractère sectaire nocif. Une clarification des intitulés ambigus permettant une meilleure information des populations apparaît ainsi souhaitable.
    • Publicités fallacieuses : Il en est de même en ce qui concerne certaines publicités vantant les mérites de  « traitements miracles », usant d’arguments pseudo-scientifique, à caractère trompeur.
    • Les refus de soins liés à des idéologies sectaires : exemple des vaccinations : Dans leur refus de la médecine « officielle, scientifique », certaines sectes utilisent volontiers l’arme du refus des vaccinations obligatoires d’efficacité pourtant confirmée. Cela conduit certains adeptes de mouvements sectaires, à solliciter de leur médecin des certificats, non justifiés, de contre-indication vaccinale , certains praticiens, allant également dans le même sens, établissant alors des certificats «  de complaisance », objets de sanctions lorsqu’ils sont découverts. Il est à l’opposé demandé aux médecins en ces cas d’informer leurs patients de l’importance de respecter les calendriers de vaccination proposés, afin d’obtenir leur consentement à ces actes de prévention.
    • Le cas particulier des refus de transfusion sanguine : Cette question a été illustrée ces dernières années par différents cas de refus d’injections de produits dérivés du sang y compris lorsque ce refus mettait en jeu de façon certaine et immédiate, le pronostic vital du patient concerné, non consentement persistant malgré les efforts faits par les médecins pour les convaincre d’accepter des soins indispensables et urgents. Lorsque ces soins concernent des adultes (car le cas des mineurs peut se régler grâce aux dispositions légales spécifiques les concernant), le dilemme posé au médecin est alors de concilier deux impératifs qui s’imposent légalement à lui : respect de la volonté du patient d’une part, pratiques des soins indispensables à la survie du malade correspondant à l’obligation de secours à personne en danger d’autre part. Différentes jurisprudences récentes ont confirmé la réalité juridique de ce dilemme, et l’obligation de respecter la volonté du patient ; retenant seulement dans des situations extrêmes , mettant en jeu de façon certaine le pronostic vital, la possibilité de procéder aux actes indispensables à la survie de l’intéressé, malgré son non consentement initial. De telles situations peuvent également soulever la part éventuelle de responsabilité des proches du malade concerné, intervenant de façon active dans son non-consentement aux soins proposés.

* * *

L’intrusion de dérives sectaires nocives dans le domaine de la santé apparaît finalement d’autant plus préoccupante qu’elle est de plus en plus insidieuse , et qu’elle s’appuie à la fois sur les progrès et les incertitudes de notre monde moderne. Parallèlement à beaucoup d’autres considérations d’ordre sociologique, deux réalités en matière de « santé » coexistent actuellement :

  • Les possibilités nouvelles de prise en charge de la santé, insoupçonnables il y a seulement quelques années, ont permis d’incontestables progrès, par la mise au point de démarches scientifiques de soins et de prévention en matière de Santé Publique et d’Education Sanitaire auxquelles tous les médecins ne peuvent que souscrire.
  • Mais ces objectifs nobles, dévoyés par certaines de leurs utilisations publicitaires, créent parfois aussi auprès des populations, de véritables fantasmes dans la recherche d’un développement même artificiel du bien-être, de la plénitude physique et psychique, de la puissance personnelle, que ne manquent pas d’utiliser des mouvements sectaires, tout comme certaines médecines «  non conventionnelles et non éprouvées ».

Prévoir le mieux possible les conséquences en matière de prise en charge de la santé de ces véritables phénomènes de société que sont ces activités sectaires, en informer largement tous ceux qui peuvent y être confrontés, nous semblent ainsi de plus en plus indispensable.

Marseille, 27/28 mars 2004