Jean-Pierre JOUGLA

Pourquoi la justice rencontre-t-elle de grandes difficultés pour comprendre la manière de fonctionner des sectes ?

Analyse à partir de l’exemple de l’Ordre du Temple Solaire

 

Jean-Pierre JOUGLA, avocat, Conseiller juridique de la FECRIS, membre du Conseil d’Administration de l’UNADFI

 

Rappel des faits :

 

La structure sectaire globalement appelée Ordre du Temple Solaire (OTS) a été créée dans les années 1975 sous l’autorité de Joseph Di Mambro.[1]

 

Jusqu’en octobre 1994 l’OTS n’a pas attiré particulièrement l’attention de la justice sur ses activités et c’est donc avec stupeur que le monde entier apprenait les premiers massacres en série de 53 adeptes commis simultanément au sein de la secte le 4 octobre 1994 selon un mode opératoire commun au Québec et sur deux lieux différents en Suisse, mode opératoire alternant assassinat, et suicides, mise en scène symbolique, absorption de sédatifs, utilisation d’arme à feu de calibre 22 à un coup avec silencieux et crémation partielle des corps.

 

Notons que les associations et autorités françaises affirmaient à ce moment là qu’il était impossible qu’un tel drame puisse se passer en France !

 

C’est donc l’effet d’un séisme qui a été perçu en France lorsque les médias ont fait savoir le 22 décembre 1995 (le massacre remontant au 16) que 16 victimes étaient découvertes dans une forêt du massif du Vercors au nombre desquelles l’épouse et un des fils d’un sportif français particulièrement connu du public.

 

Soulignons qu’une des particularités de ce massacre sectaire hors norme résidait dans le fait qu’il avait lieu un an après la disparition des deux leaders officiels de l’OTS qui s’étaient suicidés en Suisse, ce qui posait immédiatement la question de savoir qui était l’instigateur du massacre français.

 

Rappel des procédures :

 

  • 5 adeptes et anciens adeptes décédés (au nombre desquels le bébé Christophe Emmanuel – l’antéchrist – âgé de quelques mois) au Québec.

 

  • 23 adeptes décédés à Cheiry (Suisse) et 25 adeptes à Salvan (Suisse), au nombre desquels Jouret, Di Mambro et Emmanuelle l’« enfant cosmique ». ce massacre donne lieu à une procédure Suisse qui s’est soldée par un non lieu dans la mesure où l’enquête a conclu à un suicide collectif.

 

  • 16 adeptes périssent à Saint-Pierre-de-Chérennes, dans le Vercors en France. La justice française, suite à 3 plaintes de familles d’adeptes ayant trouvé la mort, est amenée à poursuivre Michel Tabachnik sur le fondement d’une incrimination particulière, celle de « participation à une association de malfaiteurs et de recel»[2].

 

  • La loi About-Picard votée en juin 2001 n’était pas applicable en vertu du principe de non rétroactivité de la loi,ce qui ne permettait pas d’envisager l’incrimination posée par l’article 223-15-2 du code pénal réprimant l’abus frauduleux de l’état de faiblesse des personnes mises en état d’assujettissement.

 

  • 5 adeptes décèdent à Saint Casimir (Québec) en 97. ce massacre n’a pas fait l’objet de poursuites dans la mesure où il s’agissait ici clairement de suicides d’apparence volontaire, mais qui étaient à nos yeux des « suicides sous influence » de la doctrine.

 

Soixante quatorze (74) personnes dont 11 enfants devaient donc périr à cause de l’OTS.

 

La justice française estimait alors que premiers massacres québécois, les massacres suisses ainsi que ceux du Vercors étaient liés par un lien de connexité et qu’elle devait en traiter comme d’un tout.

 

Le tribunal correctionnel de Grenoble relaxait en première instance le 25 juin 2001 Michel Tabachnik au bénéfice du doute, « faute d’avoir pu mettre en évidence des éléments probants dépourvus de tout caractère hypothétique quant à la manifestation consciente du but criminel poursuivi », ce qui signifiait en clair que la preuve n’était pas rapportée qu’il était conscient que son enseignement débouchait sur un projet mortifère.

 

Diverses parties civiles ainsi que le parquet ont relevé appel de cette décision mais les familles de victimes des massacres suisses omettaient de former appel par méconnaissance de la procédure française ce qui les excluait du débat.

 

Après plusieurs renvois, la cour d’appel de Grenoble a statué par arrêt du 20 décembre 2006.

Discussion :

 

Il n’est pas question pour nous de critiquer cette décision devenue définitive mais simplement, dans un but pédagogique, de comprendre comment il a pu se faire que l’action des parties civiles, les témoins et la façon dont l’instruction a pu se dérouler sur la question délicate de l’aspect sectaire de ces drames, ont pu infléchir dans tel ou tel sens la décision judiciaire.

 

La cour, dont il faut signaler le travail particulièrement consciencieux, reprend dans son arrêt les éléments constitutifs de l’infraction c’est-à-dire la « participation à une association de malfaiteurs établie pour la préparation de plusieurs crimes d’assassinat dont ont été victimes de nombreuses personnes tant au Canada qu’en Suisse et en France ».

 

  • Il y a association de malfaiteurs :

La cour considère que « les diverses structures composant l’Ordre du Temple Solaire s’analysent en une entente ou un groupement de personnes, ledit groupement ayant des structures cachées ou secrètes et d’autres publiques ». Il s’agit là de l’« association de malfaiteurs ».

 

  • Il y a perpétration de crimes :

La cour considère que les crimes sont certains, qu’ils aient été commis par des personnes qui se sont ensuite donné la mort, quelle que soit leur sincérité dans leur croyance, ou par des tiers non identifiés et non décédés (ce à quoi se raccrochaient un certain nombre de parties civiles).

 

  • Il y a préparation de crimes :

La cour considère que « la préparation des crimes ne résulte pas du fait d’un seul homme, mais a nécessité une mise au point concertée tant pour réunir les futures victimes en plusieurs points où les crimes ont été commis que pour leur exécution matérielle » (médicaments, armes, moyens de mise à feu, multiples réunions dans le mois qui a précédé les premiers massacres, textes établis avant la réalisation des crimes démontrant la maturation du projet,…).

Cette préparation matérielle ayant été accompagnée d’une préparation psychologique ressortant de dialogues enregistrés dans lequel les adeptes parlent avec leur leader des conditions du « transit ».

 

La cour se pose ensuite la question centrale de savoir si l’enseignement doctrinal de Michel Tabachnik a joué un rôle dans les drames.

 

  • Il y a bien eu enseignement doctrinal :

La cour retient bien qu’« un enseignement doctrinal a été insufflé aux adhérents » et que cet enseignement est l’œuvre pour partie de Michel Tabachnik., mais elle note tout de suite que selon les témoignages d’ (anciens) adeptes venus témoigner lors du procès, ces derniers« n’étaient pas compréhensibles et qu’ils ne contenaient pas la notion de « transit » ».

Quand nous disons anciens adeptes, le qualificatif d’anciens doit être mis entre guillemet tant il a paru manifeste lors de leur audition devant la cour qu’ils étaient encore sous emprise de l’enseignement et dans un désir de protéger celui qui leur avait délivré cet enseignement. Curieusement la cour, comme subjuguée par l’étrangeté de l’expérience individuelle des témoins, passe sous silence le témoignage à charge fait par écrit par une ancienne adepte et qui était pourtant versé au dossier.

 

  • L’enseignement doctrinal était destiné à conditionner les individus :

La cour, dans une progression didactique, s’interroge ensuite pour savoir si cet enseignement était « destiné à conditionner les individus, par l’appartenance à une élite investie d’une mission rédemptrice » et elle reprend l’analyse de l’expert Abgrall (dont le travail a été critiqué dans des termes inacceptables par divers intervenants reprenant ce faisant sans vergogne la propagande noire mise en place par diverses sectes contre cet expert pour le décrédibiliser).

 

La cour se demande si les écrits de Michel Tabachnik « ont pu avoir pour objet ou simplement pour effet de préparer les adeptes au transit annoncé ». La cour entend le terme de transit dans le sens de « mort volontaire acceptée », mais il aurait été plus juste de préciser qu’il s’agissait d’une mort sous influence.

 

La cour reprend les 6 points forts de l’enseignement mis en exergue par l’expert :

l’avenir de la planète est soumis à des lois cosmiques et son évolution est vouée à des cycles

la terre est peuplée d’individus placés sur cette terre par des entités cosmiques venues de l’étoile bleue (Sirius) dont la manifestation actuelle sous forme d’humain est sous le contrôle de la Grande Loge Blanche de Sirius

les maîtres de cette grande loge blanche communiquent avec de grands initiés qui se matérialisent ou vivent dans des maisons secrètes et dispensent un enseignement initiatique

par cet enseignement l’adepte de base peut atteindre le rang d’initié

cette initiation modifie la nature de l’adepte pour créer un nouvel homme cosmique, avec modification de son énergie corporelle par augmentation de son taux vibratoire et ce par des rituels et des pratiques initiatiques et religieuses

la terre est vouée à un cataclysme final auquel seuls les initiés pourront échapper, faute de pouvoir endiguer ce cataclysme, en changeant d’essence sous la forme d’un transit vers Sirius

 

La cour retient des explications de l’expert l’importance de la symbolique du feu qui intègre une dimension de réalité.

 

La cour note, après l’expert, que « l’enseignement tend à se faire suffisamment convaincant pour faire accepter les idées les plus extrêmes et les intégrer au sein d’un discours plus vaste qui par sa permanence finit par imprégner le sujet en totalité, y compris en faisant accepter l’intolérable…cette acceptation étant présentée comme un choix libre et volontaire ».

 

Mais si la cour note tous ces points, c’est pour ne retenir malheureusement qu’un commentaire fait oralement par l’expert selon lequel l’enseignement de Tabachnik était abscons pour édulcorer finalement la portée de l’enseignement et en conclure abusivement qu’il ne pouvait avoir été compris par les adeptes puisque de toute façon ceux qui étaient venus témoigner à la barre soutenaient soit qu’ils n’avaient jamais lu les écrits de Michel Tabachnik, soit qu’ils n’y avaient rien compris, ce qui est proprement impensable au sein d’un ordre ésotérique tel que l’OTS prétendait l’être.

 

  • Cet enseignement doctrinal avait pour effet de créer une dynamique homicide :

La cour reprend les explications de l’expert Abgrall sur les notions de « transmutation alchimique » et la présentation du corps des adeptes comme masse énergétique transmutable, qui permettent de comprendre comment la dématérialisation permet de rejoindre le « principe créateur », tout ceci en l’illustrant de larges citations empruntées au texte des Archées qui s’inscrit parfaitement dans la logique du corpus théorique de l’OTS.

Le lecteur non initié qui aurait en mains les extraits cités par la cour comprendrait à l’évidence leur sens tant il est limpide !

Mais, contre toute attente, la cour retient que Michel Tabachnik « a toujours protesté de cette lecture de son œuvre ».

 

  • Il y a une préparation finale caractérisée par
  • l’organisation de réunions des 9 juillets et 24 septembre 1994 qui ont pour but
  • l’annonce de la fin du groupement sous la forme de la fin de l’Ordre du Temple Solaire pour un passage à la Rose Croix
  • l’aboutissement de la soit disant mission dont l’objet était la commission des crimes, en connaissance de cause des buts et projets du groupement.

 

C’est sur ces deux derniers points, traités en page 65 et 66 de l’arrêt, que la cour a fait preuve d’une méconnaissance totale du projet OTS, malgré une prise de conscience louable du rôle joué par l’enseignement dans l’endoctrinement des adeptes et a donc été amenée à commettre des contresens majeurs aboutissants à la relaxe du prévenu.

 

Mais avant de reprendre l’analyse de ce dernier point, nous devons faire un détour par les coulisses procédurales et tenter de faire comprendre comment des éléments parasites rendent difficile la perception par la justice de la réalité sectaire, dans ce dossier comme dans les autres.

 

Nous examinerons ces « éléments parasites » sous 4 angles :

 

– éléments parasites inhérents à la victime de secte

– éléments parasites inhérents au dossier de secte

– éléments parasites inhérents à la question de la preuve

– éléments parasites inhérents au juge lui-même

 

– éléments parasites inhérents à la victime

 

Concernant d’une part la victime adepte :

L’accusation d’apostasie portée sur l’adepte transfuge paralyse l’ancien adepte.

 

Cette accusation est efficiente dans la mesure où si l’adepte est sorti de la secte, la secte n’est pas sortie de lui et il continue à obéir aux valeurs sectaires, ce que le gourou sait pertinemment. C’est sur ce mécanisme que jouent en grande partie les écrits posthumes distribués par l’OTS, rappelant que l’Ordre a du se faire justice lui-même.

Cette accusation d’apostasie, qui participe de la fonction judiciaire de la secte à partir de ses propres lois internes, a pu aller dans le cas de l’OTS jusqu’à l’exécution physique de ceux des adeptes démissionnaires ou de ceux qui avaient révélé aux médias ce qu’ils avaient vécu, et ceci selon une logique purement mafieuse puisque la loi du groupe prime dans la secte sur la loi sociale.

Cette élimination physique participe également de l’effet de terreur qui contraint l’adepte à donner à la justice un faux témoignage lequel aura pourtant aux yeux du juge la valeur d’un témoignage libre. Le témoignage de l’adepte devient alors un témoignage de combat. Le procès OTS illustre à la perfection ce processus qui s’est déroulé à l’insu des juges qui ont été de la sorte manipulés à partir de leur propre logique juridique incapable de déjouer le mécanisme[3].

La théorie de l’apostat, développée par le CESNUR, a pour effet connexe d’inscrire abusivement la dimension sectaire dans une logique religieuse présentée comme une évidence sans qu’il soit besoin de le dire.

 

Le traumatisme de l’emprise, par ailleurs, paralyse l’ancien adepte pour qui il est impossible de se confronter au souvenir de la période durant laquelle il a été sous la dépendance du gourou et de sa doctrine et d’accepter la réalité de sa dimension de victime. Si cette paralysie n’avait pas existé, nombre de plaintes auraient pu être déposées par d’autres adeptes victimes eux-mêmes d’escroqueries à divers niveaux et par exemple de la part de la structure « Planète Bleue », école privée sous influence de l’OTS. Ce traumatisme rend impossible la confrontation de l’ancien adepte à son gourou manipulateur, aux « forces invisibles » auxquelles il accorde encore une existence et ce traumatisme empêche l’ancien adepte de s’inscrire dans la rationalité.

L’ancien adepte a littéralement peur des représailles, que celles-ci soient dans la réalité objective ou dans la réalité virtuelle du monde des forces occultes.

 

Enfin l’ancien adepte ne supporte pas d’être confronté à la brutalité des questions posées par les acteurs du système judiciaire dans la mesure où il reste longtemps d’une grande fragilité et tout particulièrement face aux représentants d’une autorité que la secte (elle-même autorité absolue) lui a appris à percevoir sous un angle diabolique. Un témoin capital nous a clairement exprimé son refus de venir témoigner dans le procès OTS pour cette raison, après avoir eu à subir une première fois des attaques en règle (qui relèvent pourtant du jeu judiciaire) de la part d’un avocat.

 

Concernant d’autre part la victime famille ou entourage de l’adepte :

La victime entourage d’adepte peut fréquemment faire preuve d’un comportement interprétatif mal perçu, incapable qu’elle est d’accepter l’irrationnel vécu pas l’adepte faute d’avoir reçu le soutien et les explications pertinentes qui auraient du lui être apportés.

Le dossier OTS a souffert tout particulièrement d’interprétations qui voulaient raccrocher les drames à une logique plus ordinaire de nature mafieuse en attribuant l’origine des massacres à d’obscurs trafics d’arme ou à d’hypothétiques blanchiments d’argent.

Ces interprétations portées par des revendications pressantes des familles, assorties même de procédures connexes n’ont pu que fausser la liberté de jugement des professionnels de la justice en faisant pression parfois directement sur l’institution judiciaire par l’intermédiaire de spécialistes de l’agitation pro sectaire.

Pression a même été faite de la part de certaines familles victimes sur d’autres familles.

Il y a à ce niveau une carence manifeste dans l’aide qui aurait du et devrait être apportée aux victimes de tels drames dès la survenance de l’évènement, à l’instar de l’aide apportée aux victimes de catastrophes.

 

La prise en compte des victimes de secte, souvent très déstructurées par les drames vécus, demande beaucoup de temps, de l’empathie et de la continuité que le temps judiciaire ne permet pas toujours d’accorder.

 

éléments parasites inhérents au dossier

 

Les écrits doctrinaux ne sont pas, d’ordinaire, suffisamment analysés (ce qui n’a pas été particulièrement le cas dans le dossier OTS, en particulier grâce à la compétence de l’expert Abgrall), mais leur dimension irrationnelle est telle que le juge éprouve les plus grandes difficultés à leur accorder l’impact réel qui est le leur dans la construction de l’assujettissement de l’adepte, ce qui explique la remise en question de la pertinence de l’analyse expertale que l’on retrouve à plusieurs reprises dans la décision rendue et le crédit accordé hâtivement à Michel Tabachnik lorsque celui-ci affirme de façon absurde que « ses écrits n’avaient pas de sens ». Nous sommes à ce niveau dans une confrontation du monde rationnel et d’un monde où prime l’irrationnel qui ne veut pas se dévoiler.

 

Les écrits intimes des adeptes victimes, quant à eux, n’ont pas été pris en compte alors que c’est pourtant dans ce type d’écrits que l’on peut trouver la trace véridique de l’influence de tel ou enseignement sur la construction délirante de l’adepte. Le dossier OTS ne fait pas exception à ce constat puisque la justice à renvoyé à certaines familles les écrits intimes d’adeptes décédés sans avoir cherché à les lire alors que pourtant ils apportaient la preuve du rôle joué par tel ou tel des leaders de l’ordre dans la construction de la conviction de dépendance ou sur le rôle joué par tel ou tel des leaders, sans que l’adepte disparu n’ait pu bien entendu dans ce cas occulter dans ses écrits intimes la réalité dans un but de protection.

 

– Dans le dossier OTS, une partie des éléments a même été supprimée par la justice (ruines fumantes rasées au bulldozer, pièces à conviction détruites…) dans le but d’éviter que les drames ne soient exploités par les médias et les spécialistes de l’étrange mais ouvrant ainsi la voie aux interprétations des familles.

 

– Ce type de dossiers renvoie également tous ceux qui les approchent à la dimension de pensée magique dont ils sont porteurs, à l’irrationnel qui les caractérise, et cet impact ne peut pas être sans conséquence sur la prise en compte du dossier quoiqu’en pense et en dise le professionnel. On peut même rencontrer des professionnels qui refusent d’en traiter par peur d’une prétendue puissance occulte ou par peur de représailles occultes.

 

– Mieux même, dans une sorte de protection inconsciente contre l’irrationnel du contenu sectaire, le juge va occulter cette dimension essentielle. Illustrons ce propos et répondons en cela maintenant à la pirouette sur laquelle la cour relaxe l’auteur des Archées, partie essentielle de l’enseignement OTS, en affirmant que ce dernier ne savait pas que « l’aboutissement de la soit disant mission de l’Ordre était la commission des crimes, en connaissance de cause des buts et projets du groupement ».

Sans entrer dans le détail du charabia ésotérique des Archées disons simplement que cet enseignement avait pour but de persuader les adeptes que « leur propre corps était la matière d’un processus volontaire de transformation de nature alchimique qui s’opérait à partir des cellules composant le corps physique ».

L’objectif exposé à longueur de pages était de convaincre les malheureux que la purification du corps, son aération, sa sublimation, devait se faire à partir d’un certain niveau d’« élévation vibratoire » par le recours au feu, non plus simplement purificateur mais régénérateur de façon à ce que par une opération groupale fusionnant les « émanations fluidiques » de plusieurs adeptes, une énergie suffisante soit dégagée pour propulser les âmes jusqu’à l’étoile Sirius présentée comme le lieu de séjour des « entités supérieures » dont les Archées avaient transmis le savoir aux adeptes durant plusieurs années grâce à la médiumnité de son auteur.

 

Ce processus est décrit, si l’on peut dire, clairement dans l’enseignement. Il passe par la mort physique, laquelle s’inscrit dans un « processus de transformation de la vie », mais il implique dans sa phase ultime une transformation du corps pour participer à la mission de sauvetage de l’humanité qui doit se poursuivre sur Sirius présenté comme une nouvelle forme de « ferme de survie ».

 

Il est vrai que le projet est tellement fou, que lorsque les adeptes viennent témoigner qu’ils ne l’ont pas compris ou qu’ils n’en ont même pas eu connaissance, il est plus facile de les croire que de suivre la logique ésotérique, ce que fera la cour ! Et pourtant, dans le même temps, ces (anciens) adeptes affirmaient qu’ils regrettaient de ne pas avoir été choisis pour effectuer le transit sur Sirius !

 

Comment accepter de croire que celui qui décrivait un tel processus, avec force détails à prétention scientifique, ne pouvait pas avoir connaissance du résultat final ?

 

Il y a là une rupture de logique que seule l’incapacité compréhensible d’analyser l’irrationnel peut expliquer.

 

éléments parasites inhérents à la question de la preuve

 

Nous avons déjà dit que la secte été mue pas ses propres lois qui s’inscrivent dans un registre supérieur par rapport à la loi sociale ordinaire.

C’est donc tout naturellement que l’adepte obéira à la règle élitiste et n’hésitera pas à mentir ou à témoigner de choses fausses dans le but de protéger son monde sectaire.

La difficulté réside dans le fait qu’aux yeux de l’institution judiciaire le témoignage d’un témoin adepte est aussi probant que celui d’un témoin extérieur.

Le premier réflexe de l’adepte consiste également à faire disparaître les éléments matériels compromettants pour la secte.

Ce huis clos sectaire rend donc difficile la découverte de preuves et pratiquement impossible les témoignages de profanes.

Le caractère abscons des écrits sectaires les rend peu compréhensibles pour le professionnel qui est par hypothèse un profane.

Les sectes ont un double visage, un double discours et ne laissent voir que l’aspect exotérique, occultant avec précaution la dimension ésotérique aux yeux de l’extérieur.

Le juriste n’est pas préparé à être confronté à ce double niveau de manifestation, ce qui nous amène à dire un mot maintenant des éléments parasites inhérents au juge lui-même.

 

éléments parasites inhérents au juge lui-même

 

Le juriste éprouve la plus grande difficulté à comprendre le mécanisme d’emprise, ce processus par lequel un individu va soumettre la totalité de sa personnalité à l’autorité d’un tiers, de façon non volontaire, progressive et au terme de pratiques justifiées par une doctrine, par un projet utopique et par une mission.

Le juriste est formé à raisonner dans le cadre de la théorie du contrat qui suppose un échange de consentements libres et éclairés. Il lui est presque impossible d’accepter qu’une autre logique soit à l’œuvre, parfois même malgré l’aide d’un expert.

Pour comprendre la réalité du processus sectaire, le juriste doit aller au-delà de la connaissance intellectuelle et extérieure du dossier et il doit autant que faire se peut comprendre quels sont les mécanismes en jeu dans le processus d’emprise sectaire qui s’est mis en place de façon progressive et insidieuse.

Cette approche est d’autant plus difficile qu’elle va à l’encontre des exigences de la logique déductive auxquelles le juriste doit répondre et à laquelle il a été formé.

 

Il est plus facile, face à l’irrationnel le plus absolu et dans l’exemple du Temple Solaire face à l’irrationnel le plus horrible, de se raccrocher à quelque chose de connu plutôt que de tenter de pénétrer la réalité de l’assujettissement et l’arrêt rendu dans le dossier OTS n’échappe pas à ce travers.

Il y a toujours une confusion abusive entre secte et religion dans l’esprit de nos contemporains. Ce n’est pas anodin de voir ainsi la cour accorder, dans son arrêt, une importance dans le passage qu’elle intitule « évènements antérieurs » à l’histoire des Templiers avec la mort sur le bûcher en 1314 de Jacques de Molay, vingt deuxième grand maître de l’Ordre du Temple.

 

La cour se retrouve ainsi, d’une certaine manière en terrain connu, celui de l’histoire et celui de la religion, mais elle n’a pas conscience qu’elle participe en cela à l’hagiographie de l’OTS et qu’elle entre ainsi de plein pied, à son insu, dans la logique de la manipulation de la secte.

 

Pire même, le magistrat peut faire interférer ses propres croyances dans l’analyse du dossier comme chacun a pu s’en rendre compte avec effarement en écoutant un réquisitoire surréaliste d’un avocat général qui ne retenait comme élément de culpabilité que celui pour Tabachnik d’avoir trahi la « Tradition » ésotérique en ayant rédigé des rituels alors que le rituel ne peut qu’être hérité et ne peut être créé !

 

Conclusion

 

Ouvrons maintenant le champ de notre réflexion et abandonnons l’exemple de l’OTS pour aborder un autre des écueils qui guette le juge en matière de dossier sectaire.

 

Le magistrat est le gardien des libertés.

C’est ici que les sectes excellent à tromper la justice en voulant faire croire qu’elles sont victimes d’atteintes à leurs libertés… pour mieux faire oublier qu’elles sont elles-mêmes le lieu liberticide par excellence.

Toutes les formes de libertés peuvent être déclinées à commencer par celle de religion.

Il nous appartient de faire comprendre à la justice, qu’elle soit justice nationale ou justice européenne, que la secte n’a rien à voir avec la dimension religieuse mais qu’il s’agit essentiellement d’un mode archaïque et anti-démocratique d’exercice du pouvoir au sein d’un territoire délimité.

Si nous n’arrivons pas à faire triompher ce point de vue, nous risquons fort d’être confrontés à une longue période d’obscurantisme qui n’a pas d’équivalent avec ce que l’histoire a connu.

 

Notre action passe par la justice et l’analyse lucide des processus d’assujettissement.

 

Cette action ne peut découler que d’un long travail de formation des professionnels qui ont a voir, à un titre ou à un autre, avec la réalité sectaire. Cette formation doit aussi être celle des associations qui doivent tendre vers une professionnalisation qui seule leur permettra d’accompagner la victime, d’anticiper les contresens habituellement commis par l’institution judiciaire et de faciliter en définitive la compréhension de ce qu’est les mécanisme d’emprise sectaire qui prive l’adepte de tout libre arbitre.

 

A défaut d’autres décisions de justice seront encore rendues sous influence.

 

[1] En 1979, Michel Tabachnik adhère à la communauté et ce n’est qu’en 1981 qu’il recevra la mission essentielle de recevoir les enseignements ésotériques des « Maîtres de Sirius » pour les traduire en langage compréhensible par les autres adeptes, ce qui le plaçait dans la position prééminente du sachant aux côtés d’un Di Mambro en charge du fonctionnement de la secte.

 

En 1982 entre dans la structure dirigeante de l’OTS celui qui allait être véritablement son représentant de commerce et son rabatteur de nouveaux adeptes autour de thèmes de conférences exotériques sur la médecine dite douce, sur l’écologie et sur la vie saine, le médecin homéopathe Luc Jouret.

 

L’électrochoc provoqué en France par ce drame était d’autant plus fort qu’il précédait de quelques jours le dépôt de celui des rapports d’enquête parlementaire sur les sectes le plus célèbre, ce qui a permis de prendre enfin au sérieux le risque sectaire.

 

Un 5ème et ultime drame OTS devait avoir lieu un an après, au Canada, mais il est curieusement passé beaucoup plus inaperçu que les quatre autres.

 

[2] Après avoir rendu une décision de non lieu sur l’inculpation de séquestration et une autre à l’égard de l’inculpation d’assassinat. Un non lieu était également prononcé à l’encontre d’un médecin qui avait fourni un certain nombre de médicaments à la secte

 

[3] Ce procédé se retrouve également essentiellement dans les contentieux familiaux.